Retour sur la journée « Marathon créatif : Livre & économie de la fonctionnalité et de la coopération »

La commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) vous propose un billet de restitution de la journée « Marathon créatif – Livre & Économie de la fonctionnalité et de la coopération » organisée le 29 janvier 2024 par le Bureau des Acclimatations, en partenariat avec l’Université de Grenoble Alpes, avec le soutien des éditions Bayard et l’École des Loisirs, dans le cadre du projet de recherche « Décarboner le livre et l’édition » – cette journée était financée par La Banque des Territoires / France 2030, et les éditions Bayard et l’École des Loisirs.

Cet article a été corédigé par Maryon Le Nagard, de la commission Bibliothèques vertes ABF, qui était présente à cette journée, et Fanny Valembois et Pamela Devineau, du Bureau des Acclimatations, qui l’ont organisée. Il présente le programme général et les retours sur les propositions phares qui ont émergé dans les différentes thématiques travaillées.

56 personnes ont participé à ce marathon, issues d’un large panel des métiers du livre : des autrices et des imprimeurs, des éditrices et des libraires, des distributeurs et des bibliothécaires, des représentants d’institutions, de syndicats et de réseaux, des éditeurs de logiciel, des logisticiennes, des journalistes, des consultants, des cheffes de fabrication, des juristes, des formatrices… 

Introduction de la journée par Fanny Valembois – Un marathon créatif, oui, mais pourquoi ?

Tout au long de la journée, les participants et participantes ont été invité·e·s à imaginer des expérimentations pouvant être menées dans la filière du livre, avec un double objectif : s’inscrire dans une perspective d’économie de la fonctionnalité et de la coopération en vue d’atténuer les impacts environnementaux.

Trois ateliers étaient proposés au choix :

  • le premier sur la fabrication : comment fabriquer un livre plus robuste afin d’allonger sa durée de vie ?
  • le second sur la rémunération : comment rémunérer la création en dehors de la vente de livres neufs ?
  • le dernier pour aborder la question de la coopération : comment opter pour la coopération plutôt que la concurrence et la compétition ?

Nous vous proposons ci-après un retour sur les propositions phares qui ont émergé dans chacun de ces ateliers.

Atelier facilité par Marion Cazy et Clément Berteloot, introduit par Florence Rodriguez et Benoît Moreau

L’atelier a considéré les diverses étapes de la vie d’un livre : fabrication / protection / usage par le lecteur / réemploi / réparation / recyclage.

Les échanges entre les participant·e·s ont fait émerger 2 idées principales :

Idée 1 : usage unique ou multiple ? 

Le projet consiste à adapter la forme physique du livre à l’usage qu’on lui destine :

  • pour un usage “unique”, favoriser la sobriété
  • pour un usage “multiple”, privilégier la robustesse et la durabilité

Le livre destiné à rejoindre une bibliothèque et être emprunté plusieurs fois ne serait donc pas conçu de la même façon que celui qui rejoindrait une librairie.

Une telle démarche nécessite de définir des usages par typologie de livres, quantifier les proportions de ces différents usages, définir les critères de fabrication ainsi qu’un référentiel pour chaque version.

Objectif : Rationaliser la qualité de production en fonction de l’usage, pour réduire l’impact écologique.

Idée 2 : Privilégier le déstockage au pilon

Il s’agirait ici de permettre aux bibliothèques d’accéder à coûts réduits aux surstocks des éditeurs destinés à être détruits, et aux structures d’intérêt général de bénéficier de dons de ces mêmes surstocks.

Actuellement, la loi sur le prix unique du livre ne permet pas aux éditeurs de faire cette démarche. Ce changement ne pourrait donc se faire qu’avec une définition du cadre législatif et en intégrant les libraires dans ce circuit. Du côté des bibliothèques, on pourrait imaginer un budget dédié aux livres d’occasion.

Objectif : éviter le gaspillage et réduire considérablement le pilon.

A noter, Label Emmaüs, qui participait à la journée, a proposé récemment d’ouvrir une réflexion sur ce sujet dans une interview au magazine Télérama.

Atelier facilité par Fanny Valembois et Vincent Dargenne, introduit par Maïa Bensimon, Geoffroy Pelletier, Vincent Dargenne

Le livre d’occasion semble un moyen évident pour atténuer l’impact écologique de la filière du livre. Cependant, dans la mesure où les maisons d’édition et surtout les auteurs et les autrices ne touchent pas de rémunération sur ces ventes, cela suscite des inquiétudes et de la résistance. Le groupe devait donc se demander s’il était possible d’imaginer des solutions pour faire converger l’écologie et la protection du droit d’auteur.

Parmi plusieurs propositions qui ont émergé, deux idées ont été approfondies :

Idée 1 : Favoriser les contributions volontaires

Le groupe a envisagé plusieurs modèles possibles de contribution (qui peuvent se combiner entre eux) :

  • Contribution volontaire des vendeurs de livres particuliers : quand un particulier revend des livres à une librairie d’occasion ou sur une marketplace, il est incité à faire un don pour soutenir la création
  • Arrondi solidaire au moment du paiement auprès d’un libraire d’occasion ou d’une place de marché
  • Contribution volontaire des libraires d’occasion (certains d’entre eux dédient déjà une partie de leurs recettes au financement de la transition écologique, via des associations ou 1% for the planet…)

Ces contributions volontaires se feraient à travers le développement d’une interface (à développer) permettant de connecter les tunnels de vente des libraires d’occasion et des marketplaces d’occasion, afin de rémunérer les acteurs de la création (auteurs / autrices, et éditeurs).

La collecte des contributions et leur redistribution vers les éditeurs et auteurs se feraient via un organisme de gestion collective (OGC) type Sofia, qui gère déjà le droit de prêt en bibliothèque

Enfin, cette proposition nécessite également un accord interprofessionnel sur la répartition de ces contributions et la définition du cadre légal et contractuel.

Idée 2 : Repenser le modèle économique dès l’édition

Les libraires d’occasion ont pointé le fait que ces contributions sur le livre d’occasion ne représenteraient que des sommes trop faibles pour compenser la fragilité du modèle économique actuel (notamment la trop faible rémunération des auteurs et autrices). Le groupe s’est alors demandé comment revoir complètement le mode de commercialisation des livres.

Il s’agirait de réaliser une édition-test d’un titre, conçu dès le début pour être vendu plusieurs fois, afin d’augmenter la valeur économique créée (et donc mieux rémunérer les auteurs / autrices), d’intensifier l’usage par exemplaire fabriqué, et de baisser le volume produit pour réduire la consommation de ressources et les impacts environnementaux. Cette démarche nécessite de fabriquer un livre plus robuste et réparable / traçable, d’organiser un réseau de points de collecte où les lecteurs pourraient rapporter leur livre après lecture et de créer un mini-sité dédié et/ou une application. Enfin, cela implique une coopération entre différents acteurs : éditeurs / libraires de neuf / libraires d’occasion / ressourceries.

Pour l’ensemble de ces propositions, le besoin de pédagogie a été souligné : il implique de faire comprendre le mode actuel de rémunération de la création et d’expliquer les bénéfices environnementaux.

Atelier facilité par Cyril Delfosse et Paméla Devineau, introduit par Anne et Patrick Beauvillard

Les discussions au sein de cet atelier ont fait émerger plusieurs axes transverses résumés ici :

  • organiser des temps et espaces de réflexion pour l’interprofession sur la transition écologique du secteur : il y a un réel besoin de trouver / multiplier des espaces (lieu/temps) de discussion pour l’interprofession dans son ensemble (papetier / imprimeur / auteur / éditeur / libraire / associations / fédérations / bibliothécaire, etc.)
  • valoriser et cartographier toutes les ressources existantes sur les questions de transition : il serait pertinent de rendre visibles et accessibles au plus grand nombre les ressources et les pratiques existantes sur les questions des transitions (écologique, économique, sociale). De nombreux acteurs ont déjà fait des choses ou produit de la ressource mais il est difficile de s’y retrouver, d’où la nécessité de valoriser et diffuser un maximum, pour nourrir la réflexion au plus grand nombre et créer une culture écologique commune au secteur du livre.
  • interroger les questions relatives à la surproduction et aux retours : beaucoup d’échanges ont eu lieu autour de la surproduction : ses impacts environnementaux mais aussi sociaux. Un constat général a été posé : l’importance de mobiliser chaque acteur de l’écosystème pour un ralentissement collectif. Comment sortir de la dépendance à la nouveauté, produire moins de retours ?
  • coopérer pour la transformation du secteur :
    • dans l’écosystème du livre : un manque d’interconnaissance entre les différents acteurs de la chaîne du livre, des métiers, des savoirs faire et donc des problématiques et interrogations de chacun a été souligné. Plusieurs participants ont évoqué l’intérêt de ne plus parler de la chaîne du livre mais de l’écosystème du livre pour montrer l’interdépendance de chacun de ces acteurs. La coopération est nécessaire mais très difficile. Les interactions restent cloisonnées entre “grand” et “petit” et par corps de métiers.  La nécessaire coopération pour la transformation du secteur nécessite de sortir de ce clivage.
    • avec les autres filières culturelles : le manque de porosité entre les différentes filières culturelles a été mentionné ; pourtant, les chantiers en cours dans les autres filières pourraient alimenter et nourrir la réflexion du secteur du livre. 

Les idées suivantes ont émergé de l’atelier :

Idée 1 : Un plan d’actions commun pour les transformations écologiques du livre et de la lecture

Il s’agirait de réunir tous les acteur·ices de l’écosystème du livre et de la lecture (imprimeurs, papetiers, auteurs, éditeurs, fédérations, syndicats, institutions, professionnels, réseaux) en faisant appel à tous les professionnels du livre motivés et de s’inspirer du Plan d’action commun pour une transformation écologique du spectacle vivant.

Idée 2 : “Slow book : éloge de la lenteur” pour ralentir collectivement

La proposition est la suivante :

  • -20% de nouveautés chez les éditeurs
  • -20% de références à l’achat dans les points de vente
  • -20% de retours

Elle nécessite plusieurs étapes préalables : 

  • Définir qui mène et mesure
  • Mobiliser des aides publiques pour accompagner le risque
  • Constituer un panel représentatif des maisons d’édition/points de vente
  • Associer les organisations de l’interprofession
  • Définir des indicateurs
  • Documenter ce qui a déjà été expérimenté

Cette journée fut riche en échanges, en émulations, en discussions aussi : l’ensemble des participants a souligné le manque de connaissance des métiers des uns et des autres, de leurs besoins et de leurs contraintes.

En tant que bibliothécaire, cette journée a été très bénéfique grâce aux échanges interprofessionnels et à l’opportunité de rencontrer d’autres acteurs de l’écosystème du livre. Nous n’avons que trop rarement l’occasion de nous asseoir autour d’une table et de prendre de temps d’expliquer notre quotidien professionnel puis de mettre notre intelligence collective au profit d’une réflexion constructive, pertinente et avec des objectifs concrets, réalistes et atteignables.

Le second point fort de cette journée est que nous n’allons pas en rester là : l’équipe du Bureau des Acclimatations et l’ensemble de ses partenaires envisagent d’ores et déjà la suite à donner à cette journée. Des propositions d’actions à mener collectivement seront envoyées à celles et ceux qui ont manifesté leur souhait de poursuivre l’aventure. En terminant cette journée, nous n’avions pas l’impression d’avoir simplement lancé des idées qui resteront de simples utopies mais, au contraire, d’avoir amorcé une démarche de changement réel, et nous sommes impatients de découvrir la suite. Pour rejoindre à votre tour ce programme, vous pouvez contacter le Bureau des Acclimatation via son site web, rubrique contact.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *