La commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) vous propose, à travers ce billet rédigé par Florence Rodriguez, des retours sur la Journée interprofessionnelle pour une écologie du livre et des médias organisée le 4 octobre 2024 dernier à l’Académie du climat à Paris. En effet, pour cette deuxième année à l’académie du Climat, l’association du Festival du livre et de la presse d’écologie, le Felipé, s’est associée à l’association Écologie du Livre pour proposer une journée dédiée aux professionnels du livre et des médias.
Le thème du festival, pour cette édition, a porté sur « une écologie nommée désir » et offrait l’occasion, au cours de ces échanges, de se demander comment l’écologie nous invite à réinventer nos métiers au quotidien. Lors de la journée dont nous vous parlons dans ce billet, un programme de tables rondes suivies d’ateliers collectifs l’après-midi a permis de faire un état des lieux sur l’ensemble des activités du livre et des médias tout en nous apportant des pistes de réflexion et de solutions à inventer ensemble.
Implication associative forte et essentielle
L’introduction à cette journée a permis de rappeler l’implication des structures associatives pour l’organisation de ce type d’évènements avec des bénévoles qui travaillent à l’année pour les organiser (une super organisation dans un lieu très créatif et accueillant !) : l’association pour une écologie du livre d’abord, qui œuvre depuis 2019 à l’adaptation les filières du livres aux catastrophes sociales et écologiques qui nous attendent (voir notre précédent billet ABF Bibliothèques Vertes – Entretien avec l’association pour l’Ecologie du livre), et celle du Felipé qui organise ce festival depuis plus de vingt ans et porte le prix du livre jeunesse écolo (voir notre précédent billet ABF Bibliothèques Vertes – Entretien avec le Félipé).
Si ces associations partagent le constat d’un besoin de faire se retrouver des professionnels de mettre en cohérence les textes défendus et les pratiques professionnelles, elles observent aussi un manque de diversité au sein même des participants à cette journée envisagée comme un tremplin pour poursuivre ensuite les réflexions.
Sortir ensemble de l’autoroute
Une première table ronde animée par Georgia Froman (éditrice aux éditions Wildproject, traductrice, membre de l’association pour l’écologie du livre) avec les regards croisés de Claire Lecoeuvre (journaliste scientifique, autrice, membre de La Charte), Carine Mayo (journaliste, autrice, secrétaire des JNE pour Journalistes-écrivains pour la Nature et l’Écologie, association co-rédactrice de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique) et Albert de Petigny (secrétaire de la Fédération des Éditions Indépendantes, membre du bureau de OPlibris) a porté sur les démarches d’écologie du livre et des médias face à l’accélération, la concentration et la financiarisation du secteur.
Après une mise en contexte de la massification des chaînes et de leur impact écologique et social – presque 90 % du chiffre d’affaires est réalisé par les dix plus grands groupes – d’une concentration qui, avec l’avènement des nouveaux géants du net, va bien au-delà de leur secteur d’origine, les intervenants ont tenté de répondre à cette question :
Pourquoi et comment s’extraire de cette logique de concentration accélérée ?
Les points de vue exprimés ont permis d’apporter des éclairages sur la situation souvent précaire des journalistes qui tentent de faire vivre la pluralité et donner de la visibilité aux luttes écologiques et sociales, leurs difficultés à trouver des financements pour porter ces sujets. Les rédactions se sont vidées de leurs journalistes et on assiste à des interventions directes de propriétaires milliardaires sur le contenu des articles, les journalistes ont du mal à trouver un poste, deux sur trois sont pigistes, en majorité des femmes avec un revenu médian de 1954 euros. Albert de Petigny évoque aussi la forme de prédation qu’exercent les grands groupes sur les petites maisons d’édition qui font face à un système de distribution lui aussi très concentré.
L’écologie est au centre de ces enjeux et les initiatives telles que la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique ou celles portées par la Fédération des Éditions ou Journalistes-écrivains pour la Nature et l’écologie. Les solutions viendront du « faire ensemble », même si chacun a l’impression d’être un petit maillon de la chaîne, tous les intervenants partagent l’idée de se réunir et du rôle de l’écologie comme solution pour lutter contre cet emballement.
« Qu’est ce qui va se passer quand tout va s’éteindre ?«
La deuxième plénière intitulée : « Livre et médias au carrefour des luttes écologistes : (nouvelles) synergies entre la plume et le terrain » réunissait Laury-Anne Cholez (journaliste chez Reporterre), Corinne Morel Darleux (romancière et essayiste), Marin Schaffner (auteur, éditeur aux éditions Wildproject, traducteur, co-fondateur de l’association pour l’écologie du livre) et était animée par Mathilde Charrier (libraire à la librairie Le Rideau Rouge et coordinatrice de l’association pour l’écologie du livre). Avec une question centrale :
Comment parler de ce monde qui change, rendre compte des luttes écologiques ?
Là encore il est rappelé que les médias alternatifs sont dérangeants que si les jeunes journalistes veulent parler d’écologie, le besoin d’agir est collectif. Laury-Anne Cholez pose la question de la place du militantisme dans ces luttes, celles des luttes locales notamment avec une carte en cours de création pour les recenser.
Corinne Morel Darleux raconte comment le terrain vient nourrir un imaginaire, ce qu’apportent à ces luttes sociales et environnementales les histoires, la lecture et… les bibliothèques « qui pourraient devenir un cœur d’attente de la société ».
Il s’agirait ainsi d’œuvrer à « une alphabétisation collective à l’écologie »
Ces réflexions sur l’importance de trouver un langage écologique sont partagées par Marin Schaffner qui évoque les écrits de la militante écoféministe Vandana Shiva dont il est le traducteur et dont les écrits montrent à quel point nous avons besoin de temps et de façonner notre langage pour nous approprier ces luttes. Là encore, la bibliothèque incarne une réserve de savoir et de « bibliodiversité ».
Ces plénières furent très riches et ont montré l’importance de ces moments entre des acteurs qui se posent tous la question de leur place en tant que personne et professionnel dans un système à révolutionner. En tant que bibliothécaire, les entendre évoquer nos établissements comme des lieux qui pourraient incarner ce changement est aussi inspirant que questionnant sur nos possibilités à nous engager dans les enjeux écologiques et sociaux.
Une nouvelle revue et des ateliers
Après le déjeuner, Philippe Vion-Dury, un des fondateurs de la revue Fracas est venu nous parler de ce nouveau magazine dédié aux combats écologiques dont le premier numéro est sorti le 1er octobre.
Il a lui aussi fait part des difficultés à construire une alternative écologique et créer ce media né d’une coopération avec les Soulèvements de la terre en juillet dernier ; ainsi que de l’impossibilité de fabriquer une revue totalement éco-conçue avec des tirages raisonnés dans un système où 70 % des magazines issus des kiosques sont détruits après exploitation. Le zéro carbone n’existe pas dans le domaine de l’imprimerie, et il s’agit de faire des choix en tenant compte des contraintes matérielles pour limiter l’empreinte carbone de la fabrication au lecteur. La revue est donc disponible en librairie et certainement bientôt dans toutes les bibliothèques !
« Nous sommes tous un sachet de thé »
C’est l’une des phrase entendues lors des restitutions des ateliers collectifs organisés ensuite, au cours desquels nous avons pu, par petits groupes, partager et imaginer des initiatives à partir de ce qui avait été présenté au cours de la matinée. L’occasion d’émettre des pistes de coopérations et d’identifier les envies d’approfondissement sur certains thèmes : ceux de la coopération, du partage de valeurs et de compétences pour favoriser une acculturation commune et aboutir par exemple à des référentiels, des labels pour toutes les formes de créations des livres et des médias.
Ce qui a été le plus souvent évoqué pour y parvenir est le besoin de ces moment d’échanges interprofessionnels dont nous sommes tous, il me semble, ressortis grandis et inspirés.
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Le programme complet de la journée est disponible ici :
Vivement de prochains échanges interprofessionnels pour continuer d’aller vers plus d’écologie dans nos métiers, le livre et la lecture !
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