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Collections et transition écologique : exemple de l’atelier « Quel pluralisme pour parler de la crise environnementale »

La commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) vous propose aujourd’hui un billet interrogeant la constitution de collections sur la transition écologique, et plus particulièrement la crise environnementale, et quelles questions sous-tendent l’activité d’acquisition et de médiation documentaire sur un sujet aussi sensible que celui de l’environnement.

Cette interrogation était au cœur d’un atelier, intitulé Quel pluralisme pour parler de la crise environnementale ?, que nous avons conçu et mis en œuvre dans le cadre l’édition 2025 du Congrès ABF sur la thématique de l’esprit critique (nous l’annoncions à l’époque ici) et qui a été animé par plusieurs collègues : Morgane Russeil-Salvan (élève conservatrice des bibliothèques d’État à l’Enssib qui vient de prendre ses fonctions en sortie de formation initiale à l’Enssib), Raphaëlle Billy, Perrine Chavanat, Victor Reveillon, Ariane Wahl (élèves conservateur·rice·s des bibliothèques territoriales à l’INET) et Catherine Oualian (responsable de la formation professionnelle au sein de l’École de la médiation à Universcience).

Le présent article, rédigé par Julie Curien, vous présente comment cet atelier a été conçu et déployé auprès de personnels de bibliothèques, et vous fournit la matière nécessaire pour le proposer dans vos établissement si vous le souhaitez, pour participer à l’outillage de vos équipes sur ces domaines essentiels et complexes.

Genèse du projet

Au point de départ, il y une envie, au sein des commissions Bibliothèques Vertes et Poldoc (la commission ABF consacrée à la politique documentaire) de l’ABF, représentées par Philippe Colomb, Julie Curien et Yann Aoustin, d’interroger la question du pluralisme en bibliothèque en particulier quand elle rencontre un sujet de crise (porté ici sur l’état de la planète). Ce sujet, s’il est scientifiquement établi, n’en génère pas moins, dans la société, des réactions variées et intenses telles que : de la peur, des tensions, des oppositions, des contestations, des contre-vérités… qui vont de fait, aussi, se retrouver dans des discours ambiants, ainsi que dans une production éditoriale foisonnante s’en faisant le reflet.

Nous avons eu l’idée d’un atelier, à destination de professionnels, dont l’objectif serait de réfléchir collectivement aux choix d’acquisition et de valorisation des collections en bibliothèque sur le sujet sensible de la crise environnementale. Comment, pour une telle thématique, guider nos choix, quand ils rencontrent toute une palette de valeurs parfois contradictoires : liberté d’expression, droit à l’information,
pluralisme, représentation des grands courants d’opinion, vérité scientifique… ?

Nous avons défini le format de cet atelier : une salle, une durée (1h30), un nombre de participants (jusqu’à 40 inscrits), des modalités de travail participatives alternant activités en petits groupes et regroupements. Et nous avons pris contact avec plusieurs intervenants que nous vous présentons ci-après qui se sont mobilisés tant pour la préparation de l’atelier que pour son animation, jusqu’à la relecture du présent billet : un grand merci à eux !

Nous vous disons quelques mots généraux sur la trame de l’atelier. Nous l’avons pensé en trois parties :

  1. Un temps d’accueil et d’introduction sur les enjeux (15 minutes)
  2. Un temps de travaux pratiques et d’idéation (1h)
  3. Un temps conclusif avec angle d’ouverture sur la médiation à l’esprit critique (15 minutes)

Introduire l’atelier : poser un cadre de réflexion

Nous avons d’abord accueilli les participants et Julie Curien a présenté à ces derniers le cadre de l’atelier, avant de donner la parole à Morgane Russeil-Salvan (élève conservatrice des bibliothèques d’État à l’Enssib qui vient de prendre ses fonctions en sortie de formation initiale à l’Enssib) pour introduire l’atelier, dans la mesure où son Mémoire Enssib portait sur un sujet connexe : « Proscrire ou prescrire ? Le cas des médecines alternatives en lecture publique. Entre pluralisme, neutralité et lutte contre la més-information » qui nous a semblé transposable au sujet de la crise environnementale. Ce mémoire est d’ailleurs désormais consultable en ligne à ce lien et nous vous en recommandons vivement la lecture.

L’intervention de Morgane Russeil-Salvan a permis de poser de poser un cadre de réflexion : comment concilier pluralisme et scientificité des collections ? Morgane Russeil-Salvan aussi pu évoquer des outils tel que la « scepticomètre des bibliothèques » imaginé par des bibliothèques de Nancy, interroger les pratiques formalisées versus les pratiques informelles d’acquisition, naviguer entre des concepts de fiabilité de l’information et de pluralisme, mentionner le biais de naturalité dans la production éditoriale. Envie d’en savoir plus ? Morgane Russeil-Salvan a accepté de partager son support de présentation :

Animer l’atelier : travaux pratiques et idéation

Ce sont ensuite Raphaëlle Billy, Perrine Chavanat, Victor Reveillon, Ariane Wahl (quatre élèves conservateur·rice·s des bibliothèques territoriales à l’INET) qui ont préparé et animé la phase travaux pratiques et idéation de l’atelier. Un grand merci à eux également pour leur investissement !

Travaux pratiques : temps collectif d’analyse de documents

Nous avons réparti les participants en plusieurs groupes (dans la configuration du congrès ABF où notre atelier accueillait jusqu’à 40 participants, nous avons constitué 4 îlots pouvant accueillir jusqu’à 10 participants chacun, chaque groupe étant accompagné et suivi par l’un des animateurs de l’atelier).

Chaque groupe avait une mission identique à mener à bien en 30 minutes environ : réfléchir ensemble à des critères pour évaluer la pertinence de l’acquisition d’un document et à la manière de l’inscrire dans les collections. Pour rendre concrète cette phase d’analyse et d’échanges, les participants avaient à leur disposition une liste de 8 documents (dont 4 communs à l’ensemble des groupes) symbolisés par une copie de leur couverture et leur quatrième de couverture, et pouvaient utiliser internet et tout autre support pour les aider à choisir. La plupart des ouvrages sélectionnés pouvaient susciter du débat…

Nos intervenant avaient élaborer une feuille de route, suivie des descriptifs des ouvrages à analyser, qu’ils ont communiquée aux participants ; nous la partageons avec vous ici si vous souhaitez vous en inspirer :

Restitutions et idéations

Au travail participatif d’analyse a succédé un temps de restitution par groupe (de trente minutes environ) : chaque groupe était invité à désigner un(e) représentant(e) qui partagerait auprès de l’ensemble des participants la teneur des échanges ainsi que les choix opérés au sein du groupe. Nous partageons avec vous, à titre indicatif, les notes que nous avons prises de ces différentes restitutions, en les faisant évoluer vers une phase d’idéation comme nous l’avons fait en direct lors de l’atelier.

Points saillants de l’analyse collective :

  • Evaluer la fiabilité et la pertinence, par rapport à la thématique, de : l’auteur, l’éditeur, la collection
  • Porter une attention particulière à la fiabilité de l’information, au caractère scientifique de l’ouvrage et/ou à son ancrage dans des faits avérés ; a contrario, ne pas acquérir d’ouvrages nuisant à la parole scientifique
  • Identifier les ouvrages d’opinions, les propos partisans et faire preuve de vigilance sur ce type de documents
  • Identifier les ouvrages militants, repérer si l’auteur fait preuve de transparence sur sa démarche engagée
  • Prioriser des ouvrages fondamentaux sur l’écologie, des ouvrages qui font date sur l’environnement
  • Moduler ses choix d’acquisition en fonction de la taille de la bibliothèque (dans le cas d’une petite structure, acquérir moins de volumes, ne pas sélectionner d’ouvrages trop spécialisés…)
  • Développer un pluralisme documentaire dans le temps et non dans l’instant
  • Assumer la politique d’acquisition retenue : certains discours pourraient ne pas avoir besoin des bibliothèques pour exister (dans les médias, sur internet…) ou valider leurs contenus
  • Articuler les choix d’acquisitions au choix de classification et de valorisation – mais si on acquiert, comme un cas d’école, un ouvrage climatosceptique, la médiation peut-elle suffire à éclairer sur les limites du propos ?

L’atelier a été l’occasion d’interroger également d’éventuels biais des acquéreurs ainsi que les limites du pluralisme documentaire appliquées au sujet de crise environnementale :

  • Les bibliothécaires n’auraient-ils pas tendance à choisir des ouvrages dont ils partagent l’opinion ? La réponse semble avoir été fournie dans les points saillants de l’analyse collective : si la sélection déclasse les ouvrages d’opinion, l’opinion ne serait pas non plus un critère de sélection…
  • La pluralisme s’autolimite lui-même ; sur un sujet come celui-ci, les critères qui ont fait consensus sont ceux fondés sur autre consensus, le consensus scientifique.

Terminer l’atelier : conclure et ouvrir des perspectives

Le mot de la fin a été confié à Catherine Oualian (responsable de la formation professionnelle au sein de l’École de la médiation à Universcience) qui nous a proposé un regard voisin, qui rencontre les enjeux de positionnement et de responsabilité d’acteurs du service public pour aborder un sujet tel que la crise environnementale.

Catherine Oualian a d’abord identifié trois lignes de tensions dans le traitement de ce type de sujet :

  • Normativité <=> Relativisme
  • Militantisme <=> Illusion de neutralité
  • Dogmatisme scientifique <=> Instrumentalisation du doute

Puis elle a partagé, à partir de sa connaissance des enjeux et de la pratique de médiation autour de l’esprit critique, des stratégies variées, parmi lesquelles :

  • La transparence et l’enjeu de la délégation de confiance,
  • Le fait de fournir les outils de distanciation et de rendre visibles les incertitudes,
  • La nécessité de tenir compte et d’expliciter des spécificités de l’information scientifique : comment le savoir se construit et se distribue,
  • Le juste équilibre à trouver sur la notion d’expertise : disposer de repères pour éviter les mauvais experts sans être soi-même spécialiste,
  • Un positionnement consistant à proposer des espaces de débats pertinents

Catherine Oualian a également accepté que son support de présentation soit publié dans ce billet – vous y trouverez notamment (à la page 11) un tableau très intéressant sur les différents rapports à la connaissance :

***

Nous espérons que cette restitution vous aura intéressés et que la mise à disposition des supports ainsi que l’éclairage sur l’organisation de cet atelier vous seront utiles pour nourrir vos réflexions et pratiques en matière d’acquisitions, de politique documentaire, et/ou de médiations. De notre côté, nous avons vivement apprécié la qualité des échanges et le recul qu’ils ont permis pour appréhender toute la richesse et la complexité d’une politique documentaire, en bibliothèque publique, portant sur une thématique telle que la crise environnementale. Peut-être ces éléments pourront-ils inspirer l’élaboration de fiches domaines sur ce thème ? Si vous avez déjà travaillé sur ces enjeux dans vos établissements, vos retours sont tout à fait bienvenus dans les commentaires de ce billet ou en nous contactant à biblitoheques.vertes[arobase]abf.fr.

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