La commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) s’est intéressée au stage professionnel, proposé récemment par le Centre National du Livre Jeunesse à la Bibliothèque Nationale de France sur la thématique de la bibliothèque verte des enfants, et a contacté les deux intervenantes de cette formation pour nous en dire plus et contribuer à outiller l’ensemble des personnels de bibliothèque travaillant avec des publics jeunesse et des familles.
Nous donnons ainsi, à l’initiative de Jean-Marie Feurtet, la parole aujourd’hui aux conceptrices et animatrices de cette formation, Virginie Meyer (Bibliothèque Nationale de France) et Violaine Kanmacher (Bibliothèque Municipale de Lyon), qui nous apportent leur regard sur le stage et, plus largement, sur des pistes de travail pour sensibiliser le public des enfants, adolescents et leurs familles aux enjeux environnementaux. Les bibliothèques pour la jeunesse participent en effet à ces réflexions sur les espaces, les collections, les médiations, entre écogestes et nouveaux imaginaires.
PRESENTATION DES AUTRICES DE CE BILLET : Violaine Kanmacher est responsable du réseau des secteurs jeunesse de la Bibliothèque municipale de Lyon (BML). Elle a piloté une réflexion transversale sur le rôle des bibliothèques dans la sensibilisation aux enjeux environnementaux. Elle a été co-commissaire de l’exposition L’appel de la forêt, présentée à Lyon d’octobre 2024 à février 2025. Virginie Meyer est chargée de formation au Centre national de la littérature pour la jeunesse (CNLJ) et responsable de la rubrique « Livres documentaires » de La Revue des livres pour enfants. Destinée aux professionnels du livre et de la lecture pour la jeunesse, La Revue des livres pour enfants leur propose des outils pour se repérer dans une production éditoriale foisonnante (chaque numéro publie entre 200 et 300 analyses critiques des nouveautés).
PRESENTATION DU STAGE « LA BIBLIOTHEQUE VERTES DES ENFANTS » : Il s’agit d’un stage de formation continue, intitulé « La bibliothèque verte des enfants : littérature, médiation et écologie ». Ce stage a été proposé par le Centre national de la littérature pour la jeunesse (BnF/CNLJ) en novembre 2024. Son titre est un clin d’œil à la célèbre collection de romans pour la jeunesse crée en 1923 par la maison Hachette. Ce stage de deux jours a été conçu pour définir collectivement le rôle des bibliothèques auprès du jeune public, mutualiser des idées et bonnes pratiques, mais aussi expérimenter des ateliers et techniques d’animations pour qu’elles puissent être ensuite réutilisées. En voici un rapide compte-rendu.
Lancer le débat : quel rôle pour les bibliothèques dans la sensibilisation des jeunes à la transition écologique ?
Les stagiaires travaillent pour la plupart dans des sections jeunesse de médiathèques (municipales ou départementales), certain(e)s travaillent en Institut national de sciences de la pédagogie et de l’éducation (INSPE, ex-ESPE et ex-IUFM) pour la formation des enseignants ou souhaitent proposer à des bibliothèques des actions de médiation liées à l’environnement et au développement durable. Certain(e)s sont membres de groupes de travail « bibliothèques vertes », ou référent(e)s écologie pour leur établissement ou réseau. Certain(e)s sont en charge de collections sur ce thème ou souhaitent monter un fonds. Certain(e)s proposent des actions de médiation pour les scolaires (dans le cadre de parcours d’éducation artistique et culturelle) ou les familles, ou souhaitent en proposer. Leurs attentes sont globalement de trois ordres :
- Mieux connaître les collections
- Trouver des idées de médiations à proposer au jeune public
- Faire face à certains freins au sein même des équipes : « comment dépasser les clivages, comment rassembler, comment faire pour que l’engagement en faveur d’une transition écologique ne soit pas perçu comme relevant d’une seule opinion ? »
Comment lancer le débat, la discussion ? Amener le sujet ? Rien de mieux qu’une rivière du doute, technique empruntée à l’éducation populaire qui permet de s’exprimer, de prendre position, même si on ne souhaite pas prendre la parole. On peut argumenter, écouter, contre argumenter ou changer d’avis … Et la thématique de la transition écologique est un sujet parfait pour l’expérimenter. Nous avions retenu 2 affirmations pour ce premier temps : « De toutes façons, c’est trop tard pour espérer changer quelque chose » et « ce n’est pas le rôle des bibliothèques de s’occuper de ce sujet. » D’accord, pas d’accord … le débat est lancé.
Connaître et valoriser les collections pour la jeunesse sur la transition écologique et les enjeux environnementaux
La première après-midi du stage propose de se plonger dans les collections pour la jeunesse consacrées à la transition écologique et aux enjeux environnementaux. De la même façon qu’en littérature générale et en bande dessinée, ces thématiques ont été très présentes dans la production au cours de ces dernières années.
Prendre connaissance du paysage éditorial
La nature au sens large (faune flore, milieux naturels, etc.) est une thématique très ancienne des livres documentaires pour la jeunesse. Des collections thématiques existaient déjà dans les années 1990 (ex. « Sauvons notre planète » chez Gamma, « Livres de l’environnement » chez Gallimard). L’édition jeunesse n’a donc pas attendu l’engouement médiatique autour de la figure de Greta Thunberg pour aborder les enjeux de protection de la nature, mais le tournant des années 2010-2020 a été marqué par une véritable « vague verte ». « Les livres jeunesse sauveront-ils la planète ? », s’interrogeait la revue Citrouille en décembre 2020, en constatant avec malice que depuis quelques années, les livres sur l’écologie fleurissaient « comme des coquelicots dans une prairie sans pesticides ». Ce qui est nouveau à ce moment-là, c’est le caractère massif de la production dans ce domaine, et la diversité des formes proposées : atlas, pop-up, livres de recettes, albums et bandes dessinées documentaires, biographies, livres d’activité sur la permaculture ou le recyclage… Il y en a pour tous les âges, du petit cartonné sur les écogestes pour les tout-petits à la bande dessinée ado-adulte. Comme l’ensemble de la société, les enfants et les jeunes sont invités à s’émerveiller devant la nature, mais aussi à changer leur regard sur le vivant.
Effectuer des sélections : lumière sur des corpus de titres
Sans s’en tenir au livre documentaire, le CNLJ présente un corpus d’environ 130 titres récents (albums, romans, bandes dessinées, livres documentaires), rassemblés selon les problématiques suivantes :
- La nature qui émerveille
- Penser l’homme au sein du vivant
- Les relations homme / animal
- Planète en danger (biodiversité, climat, déchets, pollution numérique, écogestes)
- Enfants, adolescents et adultes engagés pour la défense de l’environnement
- Après la catastrophe
Ce corpus est disponible en ligne et nous espérons le présenter prochainement sur le blog Bibliothèques Vertes ABF. Des points de vue complémentaires sur cette production et sa médiation, notamment des exemples lyonnais, sont proposés dans le dossier de La Revue des livres pour enfants intitulé « Que peut-on pour la nature ? », dont le sommaire est en ligne (n°336, juillet 2024).
Nombreuses sont les bibliothèques qui proposent des sélections et des fonds développement durable / « écolothèques », dans la bibliothèque physique ou sur leur site (ex. : Neuilly-sur-Seine, Reims), mélangeant souvent des ressources adultes et jeunesse. La Revue des livres pour enfants peut aider à repérer d’autres titres.
Valoriser les collections : focus sur des prix littéraires verts

A la suite de ce panorama de la production, les stagiaires sont invité(e)s à un atelier de mise en situation. Il s’agit de se mettre dans la peau des professionnels qui sélectionnent les titres pour le prix Lire pour agir, mis en place par la Maison de l’Environnement de la métropole de Lyon, en partenariat avec les bibliothèques du territoire, et déjà présenté sur ce blog. Le prix jeunesse pour les 6 à 11 ans a été créé en 2024 en partenariat avec le réseau jeunesse de la BML. Les critères de sélection sont les suivants : 6 ouvrages publiés l’année précédente, s’adressant à un public de 6 à 10 ans, d’une grande qualité documentaire, littéraire et graphique et surtout “qui donne envie d’agir ». Une quarantaine de titres ont été sélectionnés dans la production de l’année écoulée. Les stagiaires sont invités à les feuilleter et à faire leur choix. Le vote final se fait autour d’une dizaine de titres, ce qui donne l’occasion d’échanger sur les critères d’analyse, la construction de l’équilibre d’une sélection (les genres littéraires, les éditeurs, les tranches d’âge, etc.), la réception de ces ouvrages par les jeunes et les familles. Violaine Kanmacher apporte également des éléments sur les outils de communication et de médiation.
D’autres prix littéraires sont aussi cités : le prix Unicef de littérature jeunesse (dont la thématique 2025 était « Grandir dans un monde durable, ça n’attend pas ! »), le prix Mouans-Sartoux du livre engagé pour la planète (catégories Jeunesse et Ados), le prix du livre jeunesse écolo (catégories Graines de lecteurs 6-8 ans et Lecteurs en herbe 8-11 ans), etc.
Rencontrer des créateurs
La première journée de stage se clôt par une très belle rencontre avec l’autrice-illustratrice pour la jeunesse Isabelle Simler, dans le cadre du cycle des Visiteurs du soir. Isabelle Simler publie des albums et des livres documentaires, notamment aux Éditions courtes et longues, qui mettent en scène des animaux et explorent des milieux naturels (Mon chat sauvage, Mon escargot domestique, Maison, L’océan la nuit). La rencontre a été passionnante et est à réécouter au format podcast sur le site du CNLJ, avec une bibliographie.

Imaginer et concevoir des médiations
La seconde journée du stage est consacrée aux actions de médiations qu’il est possible de proposer au jeune public, que ce soit dans le cadre familial ou par l’intermédiaire d’accueils de classe.
Atelier de mises en situations
La matinée est conçue sous forme d’atelier. Sous forme de jeux de rôle, nous proposons 4 situations sur lesquelles les stagiaires doivent travailler par groupes, en imaginant que les stagiaires travaillent dans une bibliothèque qui s’est engagée dans une « stratégie verte » et qui souhaite sensibiliser ses publics à la transition écologique :
- Concevoir une exposition/installation dans le hall de l’espace jeunesse à destination des familles des tout-petits et de leurs assistantes maternelles
- Concevoir un espace de médiation tout public
- Concevoir un projet avec l’école de la commune pour travailler sur la biodiversité avec les classes de niveau CM
- Proposer des actions pour sensibiliser les équipes.
Pour chacun des scénarios, les stagiaires doivent proposer des actions de médiation, définir l’objectif et le public cible, cartographier les acteurs du territoire, proposer un calendrier et un budget.

Stratégies de médiation
Les échanges autour des propositions des stagiaires permettent de dégager quelques grands axes de travail que nous vous présentons ci-après :
- Faire appel au sensoriel
- Utiliser le jeu
- Rejoindre les opérations de sciences participatives
- Faire réseau : s’appuyer sur les associations et les services publics du territoire
Faire appel au sensoriel
De nombreuses idées concrètes sont proposées par les stagiaires : boîtes à odeurs, enregistrement de lectures sur lecteurs Bookinou, matériaux naturels à manipuler (écorces, feuilles), loto sonore sur les chants d’oiseaux (application Birdie memory, en partenariat avec la British Library de Londres, le Museum für Naturkunde de Berlin et la Ligue pour la Protection des Oiseaux), bouturothèques/grainothèques, créathèque pour collecter et partager du matériel de loisirs créatifs (ex. Bibliothèque des Capucins à Rouen), travail sur le thème de l’alimentation à partir d’albums et imagiers photographiques (Espèces de cornichon ! de Stéphane Frattini, Légumes de Bernadette Gervais, Les gestes de la ferme de Nicolette Humbert)…
Les dispositifs d’écobiographie qui associent des éléments naturels à des souvenirs d’enfance sont aussi particulièrement pertinents pour retrouver notre lien au vivant, que ce soit via des ateliers d’écriture, de création plastique ou d’enregistrement. Le podcast L’écho du Vivant en est un bel exemple.
Utiliser le jeu
Les expériences ludiques (cherche-et-trouve, mémory, escape game, etc.) sont appréciées des petits comme des grands et constituent toujours une belle entrée dans les savoirs. Voici quelques ressources dans ce domaine :
- Mémorys en ligne conçus par le CNLJ à l’occasion de Partir en livre à partir d’images libres de droits de Gallica (Mémory des animaux amusants, de la nature, des papillons, Ouvrez la cage aux oiseaux, série Bêtes et bestioles) dont certains sont disponibles en version pdf à télécharger
- Défis Ma petite planète
- Écolothèque Montpellier (Centre d’éducation à l’environnement de la Métropole de Montpellier, présenté ici il y a quelques temps Lumière sur l’Écolothèque – ABF Bibliothèques Vertes) : outils pédagogiques à télécharger (ex. mémory zéro déchet, escape game Insektogame : L’empire des pattes, etc.)

Rejoindre les opération de sciences participatives
Les sciences sont souvent un sujet qui fait peur, mais qui passionne les enfants et leurs familles. Plusieurs propositions de sciences participatives existent auxquelles peuvent se raccrocher les bibliothèques. Nous pouvons citer par exemple l’opération Sauvages de ma rue sur l’observation de la biodiversité en ville, proposée par le Muséum national d’histoire naturelle, ou encore le comptage des oiseaux avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), le suivi et l’observation d’un blob avec l’opération Derrière le blob, la recherche proposée par le Centre National de Recherche Scientifique (CNRS).
Et pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour organiser des rencontres avec les scientifiques à l’occasion de cafés de jeunes chercheurs, ou d’animations de type « C’est quoi ton métier ? » Permettre ces rencontres peut véritablement susciter des vocations. Ce fut le cas notamment avec les responsables du jardin botanique de Lyon ou suite à une mini-conférence sur les insectes : 4 ou 5 enfants ayant assisté à ces rencontres souhaitaient devenir botanistes, écologues ou entomologiste !
Faire réseau : s’appuyer sur des associations et les services publics du territoire
Evidemment, en dépit de leur curiosité, de leurs compétences et de leur engagement, les bibliothécaires ne peuvent pas tout, ne savent pas tout. Et ça tombe bien, car il serait faux de croire que c’est ce qu’on attend de nous. Nous avons en revanche des espaces à proposer, une visibilité à offrir, soyons la chambre d’écho des initiatives de notre territoire.
Il existe sans doute sur notre territoire des associations qui ne demandent qu’à gagner en visibilité, des services des espaces verts aux compétences complémentaires des nôtres, capables de construire des nichoirs à chauve-souris et d’animer des ateliers plantation de bulbes … Appuyons-nous sur les énergies et les savoir-faire existants, mettons-les en lumière, facilitons la rencontre entre nos publics et leurs actions.
Exemple de médiation : l’exposition L’appel de la forêt à la bibliothèque de la Part-Dieu
“Dans la profondeur de la forêt résonnait un appel, et chaque fois qu’il l’entendait, mystérieusement excitant et attirant, il se sentait forcé de plonger dedans toujours plus avant, il ne savait où ni pourquoi. “ Jack London, L’appel de la forêt
Point d’orgue de la réflexion du réseau jeunesse de la BML sur la sensibilisation à la transition écologique, une grande exposition L’appel de la forêt a été présentée dans la galerie de la bibliothèque de la Part-Dieu. Cette exposition coconçue par les départements jeunesse, sciences et art, se voulait une invitation à flâner dans ses collections et se laisser surprendre, se perdre peut-être, glaner des informations, admirer, partir à la rencontre d’artistes, de scientifiques, confronter son regard, ses représentations et ses croyances et quitter cette exposition la tête pleine de questions, avec une furieuse envie d’aller en forêt.
Le parcours proposait trois regards distincts : celui de l’artiste, celui du forestier et celui du scientifique. Rêver la forêt, s’émerveiller sur son fonctionnement ou questionner les enjeux actuels… Quel sentier choisirez-vous ?
Au gré d’une déambulation où chacun pouvait construire son itinéraire en fonction de ses envies, l’exposition donnait à voir et à entendre des œuvres issues des collections patrimoniales (estampes du XVIe siècle, ouvrages botaniques de Mattiolli, documents sonores ou visuels de la documentation régionale), tout en faisant appel aux regards d’artistes contemporains comme les œuvres de Scénocosme. Parallèlement, de nombreux dispositifs interactifs et participatifs permettaient à tous de découvrir et de s’approprier les multiples facettes de la forêt avec pour fil rouge les illustrations de Gaëlle Alméras, extraites de l’ouvrage pour la jeunesse à paraître aux Editions Maison Georges : Le super week-end de la forêt.
Au-delà du contenu de cette exposition, et du succès qu’elle a rencontré avec plus de 30 000 visiteurs en 4 mois, c’est aussi le processus de conception qui fut intéressant à analyser avec les stagiaires, puisque dès les premières réunions, elle s’est inscrite dans une volonté de développement durable en précisant collectivement avec tous les services engagés les objectifs RSO (norme ISO 26 000 sur la responsabilité sociétale). Un bilan au prisme des droits culturels a été réalisé à l’issue du projet.
Présenter cette exposition, et la façon dont elle a été imaginée est aussi une façon de montrer que la bibliothèque peut, dans ses pratiques, choisir une organisation et des méthodes qui s’inscrivent elles-mêmes dans la transition écologique.
Le mot de la fin ?
De l’infiniment petit (inviter ses collègues à apporter un mug) à l’infiniment grand (repenser profondément sa manière de construire des projets), chaque geste compte. Identifier les partenaires et pratiques vertueuses de notre territoire, renforcer nos partenariats, imaginer des médiations et des valorisations de nos collections, une chose est sûre : à l’issue de ce stage, l’intégralité des participant(e)s sont reparti(e)s avec la certitude que c’était bien notre rôle d’engager notre établissement dans une démarche de transition écologique, que les jeunes publics pouvaient être une porte d’entrée formidable pour toucher l’ensemble de nos publics et qu’il y avait mille chemins pour avancer dans cette voie.
La commission Bibliothèques Vertes ABF remercie vivement Virginie Meyer et Violaine Kanmacher pour ce retour fourni qu’elles nous proposent via le présent billet sur « La bibliothèque verte des enfants » : nous espérons que ce type de formation continue d’être programmé et de trouver un public nombreux parmi les professionnels des bibliothèques et du livre jeunesse, complété de journée d’étude comme celle organisée le 31 janvier 2025 par le CNLJ et la BML sur « L’enfant et la nature (replay disponible à ce lien).
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