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Parlons de livres éco-conçus

La commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) vous propose un pas de côté, aujourd’hui, à travers ce billet piloté par Florence Rodriguez, membre de la commission, sur l’éco-conception des publications imprimées :

L’éco-conception peut s’appliquer au domaine de la publication imprimée, et notamment du livre. Le présent article vise ainsi à mettre en lumière des pratiques inspirantes de décarbonation pour la filière livre, portées par deux acteurs engagés dans ces démarches :

  • Camille Poulain, cofondatrice de Lichen, un atelier de création éditoriale éco-conçue studio pionnier dans la conception graphique éco-responsable
  • Benoît Moreau, directeur d’Ecograf, imprimeur spécialisé dans les procédés durables

À travers l’entretien croisé que nous leur avons proposé et que nous publions ici, tous deux reviennent sur les défis, les avancées et les perspectives d’un secteur en pleine mutation, où chaque détail compte pour réduire l’empreinte carbone des projets imprimés ou éditoriaux.

Pourriez-vous nous présenter vos structures ?

Camille Poulain : « Lichen est un atelier d’écoconception éditoriale fondé en 2019. Nous travaillons avec des éditeurs de livres ou de presse, des communicants ou des structures institutionnelles qui souhaitent abaisser l’impact de leurs publications imprimées. On ne propose pas de solutions toutes faites, de “baguette magique” de l’écoconception mais nous prenons le temps de comprendre chaque projet afin d’adapter la conception à ses contraintes, son usage et sa destination. Parce qu’il n’y a pas une méthode qui permettrait d’appliquer toujours les mêmes principes, d’utiliser toujours le même papier chez le même imprimeur et d’avoir un imprimé parfaitement éco-conçu et en même temps fonctionnel. »

Benoît Moreau : « Ecograf est une entreprise, SAS, créée en 2010. Elle a pour particularité de travailler exclusivement sur la problématique et les solutions environnementales de la chaîne graphique. Je travaille en France et dans toute l’Europe à la fois pour les imprimeurs et les acheteurs d’imprimés (éditeurs de livres, presse magazine, agences de marketing…). Même si j’en suis le seul salarié, je collabore avec d’autres consultants pour répondre à des projets de grandes ampleurs ou qui font appel à des compétences complémentaires »

Pourriez-vous nous présenter vos parcours ?

Camille Poulain : « J’ai une double formation en histoire de l’art et lettres modernes puis en édition et j’ai travaillé pendant une dizaine d’années dans une maison d’édition spécialisée en art contemporain. S’agissant d’une toute petite structure, j’ai touché à l’ensemble des postes de la maison, notamment ceux liés à la fabrication et au suivi d’impression. Lors de la création de Lichen, nous avions un pan communication responsable et un pan édition déléguée avec la volonté de produire des imprimés “responsables”, un peu comme tout le monde, à base de papier recyclé et d’encres végétales. Mais il se trouve que j’ai toujours besoin de tout comprendre à fond et que j’ai rapidement compris que les encres “végétales” ne l’étaient pas et que le papier recyclé n’était pas toujours le mieux. J’ai donc continué de chercher, d’apprendre, d’interroger, d’expérimenter, et c’est cette activité d’écoconception qui est devenue l’axe central de Lichen. »

Benoît Moreau : « J’ai une formation en mécanique des fluides et en production pétrolière. Après une expérience de deux ans dans un bureau d’étude spécialisé dans l’audit de conformité de dépôts pétroliers et dans la recherche de pollutions de sols, j’ai intégré la Fédération Française de l’Imprimerie (actuelle UNIIC) pour y créer le service environnement. Pendant une douzaine d’années j’ai ainsi accompagné, via notamment le déploiement d’Imprim’Vert et de ClimateCalc, les imprimeurs dans l’amélioration de leur situation environnementale. J’ai ensuite créé Ecograf. »

Pourriez-vous nous présenter vos missions ?

Camille Poulain : « Nous avons deux axes de travail, l’un plus opérationnel consistant à prendre en charge les projets imprimés ou éditoriaux depuis leur conception, leur fabrication, jusqu’à leur impression en passant par la direction éditoriale et le graphisme, le tout en faisant en sorte de limiter au maximum leur impact environnemental. L’autre axe est d’avantage orienté vers le conseil et comprend des audits d’imprimés existants, ce que j’appelle “l’autopsie”, qui consistent en une analyse des projets préexistants pour comprendre ce qui peut être amélioré, du conseil en éco-conception et en impression, et des formations à l’éco-conception à destination soit de l’édition soit de la communication. »

Benoît Moreau : « 90% de mon activité est aujourd’hui consacré à l’estimation des émissions de gaz à effet de serre de sites d’impression et des imprimés. J’accompagne les imprimeurs, avec l’outil ClimateCalc dans l’estimation de leurs émissions en vue de les réduire. J’aide aussi les services fabrication des éditeurs à calculer l’empreinte carbone des ouvrages qu’ils produisent. Je travaille à la fois directement pour les entreprises mais aussi pour leurs fédérations (SEPM, FNPS, SNE). »

Pourriez-vous nous dire ce qu’est un livre écoresponsable ?

Camille Poulain : « Un livre responsable, c’est un livre qui, au-delà de sa conception “physique”, répond à son usage, à son destination et à son public. On ne peut pas appliquer des principes généraux systématiquement car cela ne sera pas forcément adapté. On n’imprime pas un livre d’art ou un livre photo sur un papier en 60 grammes parce que c’est plus responsable, parce que ce n’est pas adapté. Si instinctivement il est plus logique de penser que supprimer le pelliculage plastique est la meilleure solution, ce n’est pas vrai pour tous les livres, ni pour tous les éditeurs. Le livre avec la fabrication la plus responsable du monde, s’il n’est pas adapté à son usage ou qu’il ne trouve pas son public car trop “moche” ne sera en fait pas responsable car il aura été créé inutilement. Un livre écoresponsable c’est donc un livre pour lequel on aura réussi la balance entre la responsabilité et l’usage. Lorsqu’on débute en éco-conception, on a tendance à vouloir appliquer une liste de préceptes et d’interdits absolus puis on apprend à ajuster et aussi à se méfier des idées reçues. De la même manière ce qui est considéré comme le plus important pour un éditeur ne sera pas forcément identique chez un autre et il faut identifier cela, ce à quoi on ne veut absolument pas renoncer (ce peut-être les émissions CO2, la consommation d’eau ou le fait de vouloir impérativement utiliser tel ou tel type de papier par exemple). Dans tous les cas, il est impératif de comprendre ce qu’implique les choix que l’on fait et de savoir pourquoi on les fait. On n’est pas obligé de tout appliquer mais on doit être capable de justifier. »

« Avant tout, un livre écoresponsable est un livre qui est lu » selon Benoît Moreau

Benoît Moreau : « Avant tout, un livre écoresponsable est un livre qui est lu. Après, je pense qu’il doit être produit en pleine conscience. C’est à dire que les choix de conception/ production doivent être justifiés, pour des raisons d’usage, financières, environnementales et sociales. Par exemple, pourquoi pelliculer si je n’en ai pas besoin? Ou, pourquoi choisir un papier avec trace de bois (dont les tranches pourront jaunir) si cela conduit à réduire la durée de vie (ou augmenter les retours) de mon ouvrage. La question du tirage est évidemment aussi importante. Le sujet est complexe et il faut avoir conscience qu’il est très compliqué de résoudre tous les problèmes environnementaux et sociaux d’un coup. Je pense qu’il est intéressant d’avancer par brique et de commencer par identifier les points sur lesquels on ne souhaite pas transiger (pour ma part, c’est les expéditions par avion). Cette approche par étape permet aussi de monter en compétences. En effet, pour travailler sur l’amélioration de ces impacts il faut accepter de rentrer dans les techniques de production (papier et impression) afin d’en identifier les problématiques. Une petite astuce en passant: je conseille souvent mes clients de positionner sur une carte, pour une production spécifique, le site de production de la pâte à papier, la papeterie, l’imprimerie et le centre de distribution. La logique, ou l’absence de logique, de la chaîne de production saute alors immédiatement aux yeux. »

Ecofabrication et écoconception : quels acteurs et facteurs ?

Florence Rodriguez pose deux autres questions à Camille Poulain et Benoît Moreau :

  • Quels sont les acteurs qui peuvent intervenir dans l’eco fabrication et écoconception ?
  • Qu’est ce qui peut changer l’impact environnemental d’une production éditoriale ?

Camille Poulain : « L’écoconception c’est forcément systémique donc tous les acteurs doivent intervenir dans la conception ! On ne peut pas faire d’écoconception seulement à un point de la chaîne, il faut que l’ensemble des maillons soient impliqués et travaillent ensemble dès le début du projet (depuis le concept en fait) pour ne pas rater quelque chose en route. De la même manière, on ne peut pas décider au milieu d’un projet de le rendre plus responsable, c’est trop tard. Dans les maisons d’édition, les services sont trop souvent décorrélés les uns des autres, ce qui est extrêmement visible en formation où les fabricants disent ne pas avoir la main sur tel point, tandis que les graphistes diront qu’ils n’en maîtrisent pas un autre, etc. Une grosse partie de mon action consiste alors à expliquer aux différents services qu’ils doivent absolument d’avantage communiquer s’ils veulent réduire l’impact environnemental. Ce que j’adore c’est avoir les retours post formation quelque mois après et qu’un fabricant me dise “depuis la formation on arrive mieux à expliquer nos problématiques aux éditeurs et aux directeurs artistiques ” ! »

Benoît Moreau : « Alors sans hésiter, tous ! La réduction de l’impact environnemental d’un livre est une affaire collective. L’éditeur, son service fabrication, le papetier, l’imprimeur, le distributeur, le libraire et même le lecteur (notamment dans la façon dont il se déplace pour acheter ses livres) doivent être impliqués. Je crois qu’il faut abandonner le concept vertical de chaîne graphique pour adopter un concept horizontal d’écosystème graphique. De plus, dans cette période de fort pessimisme environnemental, il est toujours rassurant de constater que les acteurs réunis dans le cadre de tels projets partagent les mêmes objectifs d’amélioration. »

Pistes de travail en bibliothèques ?

Florence Rodriguez poursuit en sollicitant Camille Poulain et Benoît Moreau sur ces deux interrogations :

  • Selon vous, quels rôles les bibliothèques peuvent jouer les bibliothèques pour participer à décarboner l’écosystème du livre et de la presse ?
  • Quels éléments les professionnels pourraient, à votre avis, prendre en compte dans leur choix d’acquisition ?

Camille Poulain : « Comme Benoît, il ne s’agit pas de ma spécialité non plus. On constate que souvent les principes “de base” d’écoconception, qui visent largement à simplifier la fin de vie des livres (comme le retrait des pelliculages), vont à l’encontre du travail des bibliothèques qui est de prolonger la vie de ces livres. Il me semble d’ailleurs qu’aux États-Unis il existe des tirages différenciés pour les librairies et pour les bibliothèques avec des conceptions différentes. Il y a tellement de types de livres et de manières de les fabriquer que je ne suis pas sûre qu’une liste de critères d’acquisition liés à la conception puisse être pertinente (je suis de manière générale, et de plus en plus, contre les checklists d’ailleurs !) »

Benoït Moreau : « J’avoue ne pas être spécialiste du sujet. J’en sais juste suffisamment pour vous dire que la finition est un sujet particulièrement complexe et qu’après 25 ans à faire ce métier, j’en apprends encore tous les jours. La question de l’usage, évoquée précédemment, est évidemment un sujet essentiel. Les imprimeurs qui maîtrisent le tirage à la demande et la production de plus en plus courte pourraient-ils proposer des finitions à la demande, je ne sais pas. La question est-elle pertinente ? Je pense qu’il faut accepter que l’on soit aujourd’hui en phase de tests. Nous ne trouverons pas une solution unique mais un ensemble de solutions parfois adaptées, parfois non. »

Est-ce que vous pourriez nous présenter un de vos projets particulièrement inspirant ?

Focus sur un projet inspirant de Camille Poulain

« J’aime toujours évoquer le cas de ma reprise de fabrication de la revue Les Passeurs, pour laquelle j’ai eu une carte blanche totale. C’est l’exemple parfait que, même quand on pensait avoir bien fait, on peut encore améliorer et surtout c’est un projet qui permet de casser pas mal d’idées reçues !

Le plus important lors d’une reprise de fabrication, notamment dans la presse, c’est de ne pas perdre l’image originelle de la publication afin de ne pas désorienter le public, même lorsque l’on change tout. C’est à cela que nous avons œuvré en travaillant main dans la main avec le directeur artistique pour conserver sa patte tout en abaissant largement l’impact graphique, en passant de 3 couleurs dont 2 Pantone fluo à une bichromie avec Pantone classique et en divisant par 2 le nombre d’aplats totaux par exemple.

Concernant le papier, le changer nous a permis de jouer sur 3 problématiques d’un coup :

  • Le poids global du magazine est passé de 567 à 460 grammes (changeant au passage de tarif postal ce qui a permis une économie substantielle de frais d’expédition), le tout sans perdre en épaisseur grâce au choix d’un papier bouffant
  • La consommation d’encre a été réduite car le papier d’origine buvait énormément et nous avons pu également supprimer le vernis intérieur
  • Les émissions carbones en passant d’un papier recyclé émettant 500 kg eq. CO2 à un papier vierge à 150 kg eq. CO2

Nous avons également changé d’imprimeur afin d’avoir une impression offset en encres traditionnelles plutôt qu’en encres UV à base de polymères.

Au final nous avons obtenu une revue plus responsable, plus légères, moins émissive, mieux recyclable et moins chère à produire tout en ayant eu des retours unanimes quant à sa qualité et à son esthétisme.

Mon projet favori pour démontrer que, non, faire plus responsable ça ne veut pas forcément dire faire plus moche et plus cher ! »

Envie d’en savoir + ? Camille Poulain nous partage ce document :

Focus sur un projet inspirant de Benoît Moreau

« Alors, je vais ouvrir sur un autre domaine que le livre, tous les secteurs liés au magnifique objet qu’est l’imprimé cherchant, et trouvant parfois, à l’améliorer.

Je travaille pour une grande société d’assurances qui imprimait l’ensemble de sa production dans l’Hexagone et expédiait les imprimés par avion dans les DROM/COM. Pour éviter les émissions générées par ce transport aérien, monstrueusement élevées, et afin de maintenir un tissu économique local, nous avons identifié des imprimeurs dans chaque territoire et départements ultramarin. Il est évident que lorsque l’on examine le coût à l’exemplaire, les tarifs explosent. Mais si l’on examine le coût global (production + stockage + expédition + sur-stock…) la différence s’atténue. La solution été adoptée par l’entreprise qui a gagné en sécurisation de ses approvisionnement tout réduisant son empreinte environnementale, le tout à un coût acceptable.

Ce résultat a pu être obtenu car les acteurs impliqués ont accepté de remettre en question une solution qui leur paraissait satisfaisante d’un point de vue technico-économique mais qui ne l’était pas d’un point de vue environnemental, et même social. Ils ont accepté le changement alors que tout semblait OK. Je pense réellement que c’est la bonne approche : accepter le changement alors que je suis, encore, bien dans mon confort quotidien. »

***

Un grand merci à Florence Rodriguez, Camille Poulain et Benoît Moreau pour cet entretien croisé qui nous en apprend un peu plus sur l’éco-conception dans le domaine du livre et des revues imprimées !

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