Prix BD sur des thèmes d’écologie

La commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) mène une veille sur différents prix liant livre et écologie, qu’il s’agisse d’un prix du roman, d’un prix plus large ouvert à toutes les littératures, ou d’un concours de création littéraire.

Dans la suite de ces propositions, cet article, rédigé par Maël Rannou, propose de découvrir des prix mettant en avant des bandes dessinées abordant des thèmes écologistes et d’en explorer le potentiel en bibliothèques et médiathèques. Trois prix se distinguent particulièrement, par leur historicité ou/et leur force médiatique, et sont à ces titres présentés dans ce billet : le prix Tournesol, l’Éco-fauve Raja et le Prix BD Cabaret vert, adossés chacun à un festival distinct. L’occasion, aussi, d’outiller les personnels chargés de collections en bibliothèque, pour repérer des bandes dessinées plébiscitées sur la thématique.

Le Prix Tournesol

Créé en 1997, c’est assurément le plus ancien des prix dédiés à l’écologie en bande dessinée. Lancé par Yves Frémion, spécialiste de la bande dessinée, rédacteur de Fluide glacial, mais aussi ancien député européen et conseiller régional écologiste, il est remis chaque année en marge du Festival international de bande dessinée d’Angoulême (FIBD). Son objet est l’écologie, dans son sens global, et si de nombreux titres récompensés parlent bien de questions environnementales, le scope est plus large, fidèle en cela aux lignes théoriques de René Dumont : justice sociale, défense des minorités, du pacifisme, du féminisme, de la démocratie, internationalisme ou solidarité nord-sud ont aussi été au rendez-vous.

Le palmarès est riche, puisque le prix a presque trente ans, avec des titres très différents, allant de la BD reportage sur les AMAP au Palestine de Joe Sacco, en passant par la Petite histoire des colonies françaises d’Otto T. et Grégory Jarry, un album collectif obscur sur le scandale de l’amiante, jusqu’à des classiques de la science-fiction ou de l’humour franco-belge (Valérian, de Christin et Mézières, ou l’album où les Bidochon tentent de se mettre à l’écologie, de Binet). Si la sélection est toujours faite sous la férule de Frémion, le jury change tous les ans, ce qui donne une grande variété aux approches retenues. À noter : les lieux d’impression ne sont pas retenus comme critères, ni la bibliodiversité – on peut être surpris de voir que ce sont souvent de gros éditeurs récompensés, et que Futuropolis a raflé six des huit derniers prix. Ceci posé, la variété est tout de même de mise (on compte des prix pour Atrabile, FLBLB, Vertige Graphic ou Çà et là) avec un palmarès très international, et notamment le manga Gen d’Hiroshima de Kenji Nakazawa primé dès 2004, quand le FIBD attendra 2007 pour donner un Fauve d’or à une bande dessinée japonaise.


Mobiliser directement le Prix Tournesol en collectivité peut toutefois être complexe : si ce prix est ancré dans le monde de la bande dessinée, il est officiellement remis par le parti Les écologistes (ex-Europe Écologie – Les Verts). Cela n’est pas qu’anecdotique, puisque le jury est très majoritairement présidé par une personnalité élue ou candidate, on retrouve ainsi systématiquement le candidat à la présidentielle ou aux Européennes les années d’élections. Par ailleurs, outre des militants associatifs locaux et nationaux, et des représentants du monde de la bande dessinée, le jury comprend toujours des membres des verts Suisses et Belges, une approche internationale plutôt intéressante mais particulièrement partisane. Certes on peut se dire que l’on traite tous les partis à égalité, puisque seuls les écologistes donnent un prix annuel à une bande dessinée, mais passée cette pirouette, la limite de la neutralité du service public est vite atteinte.


A ces égards sans en faire une promotion transparente, il ne faut cependant pas se priver de regarder les sélections et les différents primés du Prix Tournesol, qui offre une bibliographie tout à fait intéressante. L’ancienneté du prix donne une bonne image de ce qu’a pu proposer la bande dessinée écologiste sur le temps long, avec notamment un avènement de plus en plus net de la BD-reportage. À noter : des prix « super-Tournesol » sont remis aux dates anniversaires à des auteurs non récompensés par le prix bien que leur œuvre transpire de sujets écologistes. Gébé l’a eu pour le nouveau millénaire, F’murr pour le 10e anniversaire du prix, Cosey pour le 20e, celui du 30e anniversaire devrait bientôt être remis.

Quatre titres non-cités ayant eu le prix Tournesol, moins renommés que d’autres et gagnant à être connus

L’Éco-Fauve Raja

Avec son nom étrange, c’est pourtant celui qui a sans doute le plus de visibilité. Les « Fauves » sont les prix du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD), « éco » en indique le thème et « Raja » est la marque qui sponsorise. Raja : une marque de carton d’emballage, leader européen de ce secteur même. Il est vrai que c’est peut-être le seul point commun entre toutes les maisons d’édition si différentes du festival : elles ont besoin de cartons. Cela a pu faire sourire, Raja met en avant l’aspect recyclé de sa production, d’autres soulignent que c’est spécifiquement la distribution/diffusion qui est la partie la plus polluante de l’industrie du livre.


Qu’importe, en 2022 le FIBD lance cette récompense afin que l’un de ses principaux sponsors ait le droit à un prix labellisé, comme le Fauve du public Cultura et le Fauve polar SNCF. Le lancement se fait dans la polémique, d’une part le Tournesol y voit une concurrence directe et marketing alors qu’il a l’antériorité (en plus de dénoncer la sélection d’un titre pro-nucléaire), d’autre part la majorité du jury démissionne (dont Inès Léraud), annonçant découvrir que le prix portera le nom d’une entreprise, et dénonce le greenwashing. Dans la foulée, quatre des sept nominés se retirent publiquement de la compétition, dont le seul commun aux deux sélections (Urgence climatique de Etienne Lécroart et Ivar Ekeland, Casterman). Habitué des polémiques le festival laisse courir, renomme un jury et le premier Éco-fauve Raja est donné à Mégantic, un train dans la nuit, des Québécois Christian Quesnel et Anne-Marie Saint-Cerny (Ecosociété), éloignés de la polémique.


Depuis, trois autres éditions ont eu lieu, et le festival a vogué vers d’autres polémiques. Après avoir récompensé un intéressant album sur un drame écologique marquant le Québec, les autres prix sont assez variés, de la bande dessinée didactique à la science-fiction, avec des sélections tout à fait honorables. Le prix est encore peu connu mais reste celui qui a sans nul doute la communication la plus forte, annoncé avec le reste de la sélection, pouvant bénéficier d’un sticker, d’articles… Il permet aussi, en bibliothèque, de parler écologie à un moment où l’on met souvent en avant les sélections du Festival d’Angoulême.

Les quatre lauréats de l’Éco-fauve Raja à ce jour

Se posent ensuite quelques questions :

  • Peut-on mettre en avant un prix portant le nom d’une entreprise ? On peut s’en tirer en disant « Éco-fauve » ou « Prix écologie du FIBD » ;
  • Ce prix ne risque-t-il pas de limiter l’écologie à une vision environnementaliste ? C’est malgré tout souvent le cas, notamment pour le public. Notons que le 2e prix, attribué à Sous le soleil, d’Ana Penyas (Actes Sud – L’An 2), BD espagnole à la forme assez expérimentale abordant le surtourisme, semble dire que non ;
  • Cela interdit-il à tout titre parlant d’environnement d’obtenir le prix du meilleur album, ou un autre prix ? Cet effet de bord serait quand même assez regrettable et est à craindre, aucun polar n’ayant eu d’autres prix que le « Fauve polar SNCF » depuis sa création.

Prix BD Cabaret vert


Créé en 2005 à Charleville-Mézières, le Cabaret vert est un festival avant tout musical mais proposant en parallèle de nombreuses activités culturelles – jongleries, exposition et festival de bande dessinée, par exemple. Avec son nom, tiré d’un vers rimbaldien, originaire de la ville, l’écologie ne pouvait que rencontrer cet événement, qui a d’ailleurs édicté un plan en douze points pour avoir un impact écologique et social plus positif que destructeur.


Dernier né des prix, en 2023, le prix BD Cabaret Vert est tout jeune, et sa force de frappe n’est pas celle du FIBD. Cependant, il s’adosse à un événement important en Champagne-Ardenne, est très structuré, et est le seul de trois prix présentés ici à directement associer les bibliothèques. En effet, le département des Ardennes dépêche la bibliothèque départementale pour organiser la sélection, en lien avec le festival et la Direction des services départementaux de l’Éducation Nationale des Ardennes (DSDEN). Une fois les sélections réalisées, ce sont en effet majoritairement les élèves du département qui votent pour le prix Jeunesse (près de 60 classes de primaire et collèges en 2025). Pour les autres prix, c’est un jury spécifique qui s’exprime, mais aussi un vote en amont et pendant le festival, sur internet et en médiathèques. Point important face aux réguliers articles sur la grande précarité des auteurices, le prix et accompagné d’une dotation financière.

Présentation de la sélection du Prix BD Cabaret Vert 2025 sur la page facebook de la Médiathèque de Donchery


Contrairement aux autres, le Prix BD Cabaret vert propose de très courtes sélections, mais les découpe par catégorie, ainsi sont remis :

  • Le Prix BD Cabaret Vert, qui récompense un album adulte ;
  • Le Prix de la Connaissance, qui récompense « un album didactique permettant au lecteur d’enrichir ses connaissances autour du thème de la transition écologique » ;
  • Le Prix BD Cabaret Vert Jeunesse, qui récompense un album jeunesse et a donc un jury différent.
    Si les deux autres prix sont annoncés durant le festival, le prix jeunesse est annoncé en amont, et délivré dans une médiathèque (généralement celle de Voyelles).

Une des richesses du prix est notamment de fortement distinguer la fiction, et donc les nouveaux récits sur la transition, en ayant créé un prix de la BD documentaire spécifique. En effet, dans les prix sur l’écologie, avec l’explosion des propositions, cela permet de bien toujours avoir les deux approches, complémentaires et nécessaires, pour l’avancée des questions écologiques. Bien sûr, si vous n’êtes pas dans les Ardennes, il est plus difficile de mobiliser autour du prix, mais prendre le temps découvrir ses sélections peut toujours être inspirant dans le cadre de la veille pour des acquisitions : le prix distingue en effet neuf titres par an, trois par catégorie, avec une approche stimulante de l’écologie.

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