La Commission Bibliothèques Vertes ABF reprend du poil de la bête, en cette rentrée 2023, avec le présent article qui touche aux enjeux de biodiversité auxquels les bibliothèques peuvent contribuer. Nous nous sommes ainsi intéressés à ces bibliothèques qui accueillent une ruche, sur leur toit voire au milieu de leurs collections. Ce retour d’expérience est issu d’entretiens menés par Maryon Le Nagard avec les équipes des bibliothèques municipales d’Etrepagny (27), de Maromme (76) et de Plumaugat (22), ainsi qu’avec la bibliothèque universitaire de Saint-Denis (Paris 8). Nous remercions vivement les collègues qui ont pris le temps de répondre à nos questions et de nous envoyer des photos !
Objectifs
Installer une ruche en bibliothèque répond à des objectifs multiples :
- Il s’agit avant toute chose de permettre aux publics de découvrir la vie des abeilles en observant directement le fonctionnement d’une ruche, et, ainsi, de sensibiliser le plus grand nombre à la préservation de ces insectes pollinisateurs. A Maromme, on insiste sur les conséquences dramatiques de l’utilisation des pesticides qui décimeraient 300 000 colonies d’abeilles en France chaque année.
- Les actions de médiation autour des ruches sont ensuite l’occasion d’élargir la réflexion aux questions de biodiversité.
- Installer des ruches, que ce soit en bibliothèque ou dans d’autres bâtiments, offre aussi la possibilité de réintroduire la nature en ville. C’était une des principales motivations à Plumaugat, qui a poussé la démarche jusqu’à candidater pour obtenir le label APIcité. Ce label national a été créé en 2016 par l’Union Nationale pour l’Apiculture Française (UNAF) pour valoriser les collectivités qui mènent un projet municipal en faveur de la protection des abeilles. Il existe trois niveaux de labellisation, Plumaugat a été récompensé de « deux abeilles ».
Notons enfin qu’à l’Université de Saint-Denis, l’installation des ruches fait partie du projet tutoré « So Skiled » qui « vise à donner aux étudiants du premier cycle des compétences humaines mobilisables tout au long de leur vie. » La thématique de la vie des abeilles est ainsi abordée dans plusieurs disciplines enseignées à l’université : histoire, avec la représentation des abeilles dans l’Egypte Antique ; sociologie / psychologie, pour interroger le rapport des étudiants aux abeilles, au miel… ; lettres, en abordant les controverses structurées… La professeure documentaliste, Marie Philémon, a également élaboré un cours de conduite de projet durant lequel il est demandé aux étudiants de monter un projet dans lequel il y a une relation entre l’apiculture (c’est-à-dire l’étude des interactions entre les sociétés humaines et les abeilles) et la discipline dans laquelle leur sujet s’inscrit. Elle explique que l’objectif est de « sortir d’un point de vue éthiologique et d’aller vers un aspect sociologique ». Les étudiants doivent produire un dossier documentaire accompagné d’un journal de bord contenant leurs éléments de réflexion autour du rucher dans un campus.
A l’origine des projets
Parfois, c’est un apiculteur – professionnel ou amateur – passionné qui amène le projet. Cela a été le cas à la bibliothèque municipale d’Etrepagny, où l’un des usagers était apiculteur et a proposé à l’équipe l’installation d’une ruche pédagogique, mais également à la bibliothèque universitaire de Saint-Denis, où la documentaliste est également apicultrice et a construit ce projet avec deux collègues professeurs.
Dans d’autres cas, cela peut-être une initiative de l’équipe municipale, comme à Maromme, où la municipalité s’était engagée dans une démarche de promotion de la biodiversité, où à Plumaugat.
Aucune des équipes des bibliothèques que nous avons interrogées n’a été à l’initiative de ce projet d’installation de ruches, mais toutes affirment que cette proposition a été accueillie avec enthousiasme et curiosité.
Aménagement des locaux
Les bibliothèques municipales de Plumaugat et d’Etrepagny sont des constructions ou installations récentes (ouverture de la première en juin 2022, installation de la seconde dans un ancien cloître, réaménagé pour accueillir la ludomédiathèque, en 2018), et il est intéressant de noter que la présence de ces deux ruches a été intégrée au moment de la réalisation des plans des bâtiments. A Plumaugat, les deux niches prévues pour les ruches, côté sud, à l’extérieur de la bibliothèque, sont accolées aux vitres et donc visibles depuis l’intérieur. Les ruches accueillent 25 000 abeilles.
A Maromme, les ruches ont été installées sur le toit de la bibliothèque. Les publics n’y ont donc jamais eu accès (physiquement ou visuellement) directement, mais uniquement dans le cadre d’actions spécifiques de médiation.
A Etrepagny, la ruche pédagogique est installée à l’intérieur de la bibliothèque, un trou a été percé dans le mur pour permettre aux abeilles d’aller et venir :
A l’université de Saint-Denis, l’installation du rucher (comprenant 4 ruches et un total de 120 000 abeilles) a eu lieu fin 2017, sur le toit de la bibliothèque universitaire également. Le lieu semblait idéal puisque le toit est plat, avec des parapets qui protègent l’espace du vent. Cependant, une partie des abeilles n’a pas survécu, deux années consécutives. Plusieurs causes ont été évoquées : le vent trop important, malgré les parapets, la pollution, les produits utilisés pour traiter le toit chaque année… Aucune certitude, mais le choix a été fait de déplacer les ruches au sol, à côté du lycée. Le fonctionnement reste cependant le même.
Gestion de la ruche et partenariats
Si les bibliothécaires peuvent accompagner les ruches d’une offre documentaire spécifique pour étoffer un fonds dédié, et mener des actions de médiation envers les publics, des partenariats sont à mettre en place pour initier et prolonger la démarche.
En premier lieu, une intervention des services techniques peut être à envisager pour l’installation, l’aménagement des locaux ou, comme à Etrepagny, la réalisation d’un trou dans le mur pour permettre la libre circulation des abeilles.
A l’université de Saint-Denis, l’expertise de la responsable Hygiène et Sécurité a été demandée avant l’installation des ruches. Le service Patrimoine est également associé au projet puisqu’il a en charge la gestion du bâtiment et des espaces verts, ainsi que le service Logistique, pour l’achat du matériel. Enfin, en bibliothèque municipale comme en bibliothèque universitaire, le service Communication est sollicité pour informer les usagers du projets et des éventuelles actions de médiation ensuite.
Par ailleurs, il est nécessaire qu’une personne référente s’assure régulièrement du bon état de la ruche : à la bibliothèque universitaire de Saint-Denis, il s’agit ainsi d’une professeure qui est également apicultrice, à Etrepagny, c’est le professeur de SVT (sciences et vie de la terre) à la retraite, à l’initiative du projet, qui en assure le suivi ; à Maromme, c’est un partenariat avec Happy Culture Citadines, structure d’insertion inscrite dans le paysage régional normand, associée à Interm’aide Emploi, qui a été mis en place avec l’appui d’un apiculteur. Enfin, à Plumaugat, un apiculteur de la commune est sollicité, accompagné d’un employé des services techniques qui a suivi une formation spécifique.
Médiation
A Etrepagny, la ruche installée en plein cœur des collections permet d’être visible par toutes et tous pendant les heures d’ouverture de la bibliothèque. Les publics peuvent contempler le travail ainsi que les allées venues des abeilles pendant quelques minutes ou quelques heures à leur convenance. Même sans médiation spécifique, la ruche fait partie de la bibliothèque et tous les usagers connaissent son existence.
Dans les autres structures évoquées dans cet article, les ruches ne sont pas en libre-accès, elles peuvent donc être rapidement oubliées. Comme pour tout nouveau service ou outil, la médiation et l’action culturelle est donc nécessaire. Les collègues avec qui nous avons échangé nous ont donné plusieurs exemples d’animations qu’ils proposaient de façon régulière ou plus ponctuelle et pour des publics variés, adultes et enfants : récolte de miel, mise en pots, réalisation des étiquettes, dégustation, jeu type blind test pour essayer de différencier les miels (acacia, tilleul, lavande, chataigner…), visites, recherche de la reine mère, décoration des ruches, accueils de classes avec lectures thématiques puis découverte des ruches ; à Maromme, on profite des vacances scolaires pour proposer des ateliers parents / enfants.
Les événements nationaux ou internationaux sont aussi l’occasion de mettre en lumière les ruches : journée mondiale des abeilles bien sûr (20 mai) mais aussi journée mondiale de la biodiversité (22 mai), semaine internationale pour les alternatives aux pesticides (mars), journée mondiale de l’environnement (5 juin), journée mondiale du climat (8 décembre)… Mais aussi journées du patrimoine en septembre !
A Plumaugat, les habitants ont été sollicités pour choisir le nom de la nouvelle bibliothèque. Celui qui a été retenu est « la Ruche », rappelant ainsi de lui-même la présence des abeilles que personne ou presque ne peut désormais ignorer !
Budget
Toute bibliothèque souhaitant installer un rucher devra tout d’abord s’équiper en ruche. A la bibliothèque universitaire de Saint-Denis, on estime que pour l’installation de 120 000 abeilles et 4 ruches, il a fallu un budget de 1000 € la première année : 400 € par ruche (bois + colonies) + le matériel de base (combinaisons, bac operculé, extracteur, cire, pots de miel, maturateur, outils tels que l’enfumoir, le lève cadre et la pince pour ce dernier). Un budget de 300 € est prévu ensuite chaque année.
A Etrepagny, une nouvelle reine est achetée chaque année (80€ par an pour une « reine fécondée garantie »).
En conclusion
L’installation de ruches en bibliothèque ne nécessite pas un gros budget et semble aisée à mettre en place, à condition de mettre en place un partenariat avec un apiculteur et d’obtenir la validation des services techniques. Voilà un projet qui, sans nul doute, vous permettra de faire le… buzz !
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