La Commission Bibliothèques Vertes ABF vous propose aujourd’hui, au cœur de cette saison printanière, d’inaugurer une nouvelle rubrique essentielle : celle que nous avons à cœur de désigner comme « bibliothèque du vivant », pour mettre en évidence le rôle que peuvent jouer les bibliothèques pour sensibiliser aux enjeux de biodiversité et plus encore.
Nous avons le plaisir d’ouvrir ce sujet par le présent billet, qui donne la parole à Anne-Valérie Malavieille de la Médiathèque Marguerite Yourcenar (Bibliothèques de la Ville de Paris) pour un retour d’expérience sur
- les objectifs et modalités de mise en place d’une grainothèque dans son établissement
- les axes de travail et d’engagement pour rendre cette grainothèque vivante dans le temps.
Entre les lignes se donne à lire comme un guide, ou à tout le moins des recommandations, trucs et astuces, pour monter son propre projet de grainothèque en bibliothèque. Vous découvrirez à travers cet entretien, initié et conduit par Julie Curien, que les petites graines d’une grainothèque constituent un excellent point d’entrée pour échanger sur le vivant avec les usagers et contribuer à inscrire les bibliothèques dans des démarches participatives et d’éco-citoyenneté.
Lançons-nous donc, à travers ce jeu de questions-réponses, qui, nous l’espérons, vous inspireront pour (continuer de) semer des graines grâce aux médiathèques et bibliothèques de toute nature :
Pourquoi mettre en place une grainothèque ?
La bibliothèque Marguerite Yourcenar, nous explique Anne-Valérie, est « pôle écologie / développement durable depuis son ouverture en 2008 au sein du réseau des bibliothèques de la Ville de Paris : elle développe donc des fonds importants dans ce domaine (2000 documents essentiellement en section adulte). Lorsqu’en 2013, après les pionnières étasuniennes, les premières grainothèques ont été créées dans des bibliothèque bretonnes en France, nous avons pensé qu’il serait intéressant, et cohérent d’en proposer une parmi nos collections. En 2015 un petit groupe s’est mis au travail et cette idée a intégré le projet d’établissement. Il s’agissait, dans un contexte alors plus tendu de brevetage du vivant, de jouer un rôle de sensibilisation, à notre petite échelle et dans un contexte urbain. »
Parmi les objectifs cochant les cases de responsabilité environnementale et sociétale des bibliothèques :
- Exemplarité : donner l’exemple d’une reprise en main des graines par les populations
- Ecologie : maintenir la biodiversité, promouvoir les graines de plantes locales, fleurir la ville
- Economie circulaire : troc, échange, gratuité ; échanges non marchands
- Rôle social : cultiver les relations entre les citoyens sur ces enjeux environnementaux
Comment créer une grainothèque ?
Selon Anne-Valérie, « constituer un groupe de travail, même restreint, permet de définir précisément l’objectif visé, le mode de fonctionnement et d’inscrire le projet dans la durée. » Elle ajoute : « A l’époque, nous nous étions appuyés notamment sur le travail de Grainedetroc, association à l’origine du développement des grainothèques en France, qui est une ressource incontournable : elle propose des conseils, un répertoire dans lequel signaler son établissement et elle donne de bonnes idées. Il faut aussi toujours penser que la grainothèque doit faire partie de l’action culturelle, peut-être plus encore que des collections, et qu’elle sera vraiment vivante si elle est mise en avant lors d’animations. »
Concrètement pour la création de la grainothèque de la Médiathèque Yourcenar en 2015, « nous nous sommes ainsi appuyés sur l’association Graines de troc, qui fournissait un « kit de démarrage » d’une trentaine de sachets variés, et sur les compétences d’agents dans l’équipe ; nous avons créé pour ce nouveau service une charte d’utilisation et un logo ; nous avons prévu une journée de lancement avec des animations, la présence d’un jardinier pour les conseils, une exposition d’œuvres patrimoniales, des ateliers pour les enfants ».
Les préconisations d’Anne-Valérie :
Gérer une grainothèque, à mi-chemin entre SERVICE | … et COLLECTION |
Il s’agit d’un service de troc visant à une autonomie des usagers, pour les responsabiliser et ne pas ajouter une tâche à l’équipe. Dans les faits, l’autonomie est limitée à Yourcenar parce que la grainothèque est en accès indirect, derrière la banque d’accueil, ce qui permet en revanche une gestion optimisée des flux et surtout d’y adosser une forme de médiation sur le rôle et le fonctionnement de ce troc. Les usagers restent autonomes par leur engagement dans l’acte de dépôt de graines et d’inscription sur chaque sachet des variétés et provenances. | Les sachets de graines sont des collections qui ne font à Yourcenar pas l’objet d’un inventaire, ni d’un catalogage, notamment pour en simplifier la gestion ; mais chaque sachet de graines porte sur lui son descriptif manuscrit (≃ métadonnées botaniques de premier niveau… à portée de main et de vue). Le renouvellement de la collection peut se faire par les bibliothécaires et les usagers, en partenariat ou non avec des associations, services de jardinage, etc. L’action culturelle constitue un très bon levier pour ajouter de nouveaux sachets de graines et dynamiser le troc de graines. |
Contenants & contenus
- Constituer des sachets de graines : regrouper minimum 5 graines par sachet ; préparer les sachets (vous trouverez un modèle par exemple ici)
- Mettre à disposition ces sachets dans un petit meuble ou une boîte (à Yourcenar, c’est désormais une caisse à vin aménagée) avec la mention « Grainothèque » et le mode d’emploi
Vous trouvez ci-dessous en images l’évolution à la médiathèque Yourcenar des sachets de graines employés (en 2015 puis 2016, en format signet dans les rayonnages puis sur une table de présentation ; en 2022, la bibliothèque a changé de contenant pour adopter les sachets pliés qu’elle trouve plus simples et efficaces à réaliser) :
La communication sur la grainothèque a combiné dès le départ une approche écrite et orale : d’un côté « des petits flyers précisent le fonctionnement, donnent des conseils pour la récolte de graines » et « la grainothèque est également mentionnée dans la communication générale parmi l’ensemble des services offerts par la bibliothèque » ; de l’autre côté, la communication s’effectue aussi et surtout de façon orale : « c’est au cœur du projet que de favoriser les échanges ». Nous partageons avec vous un exemple plus récent de communication A5 recto/verso, incluant le volet grainothèque de la médiathèque dans une dynamique élargie à l’éco-citoyenneté :
Comment « rendre vivante » la grainothèque ?
Deux objectifs s’imbriquent l’un l’autre pour rendre vivante la grainothèque : l’alimenter et nourrir des échanges autour de la biodiversité. L’échange avec Anne-Valérie, à l’occasion de cet entretien, révèle que la grainothèque à la bibliothèque Yourcenar est vraiment vivante au moment des médiations par le personnel et des actions culturelles, voire en activant des partenariats. La grainothèque prend ainsi pleinement vie :
- A l’accueil à la bibliothèque et lors d’actions de médiations auprès des usagers, quand les personnels présentent le pôle Développement durable lors de l’inscription, dont la grainothèque, ou par le caractère visible de la grainothèque à l’accueil de la bibliothèque qui peut être source d’échanges quand il y a des questions ou des sollicitations d’usagers.
- A l’occasion d’animations et actions culturelles, occasions à créer comme c’est le cas à la Médiathèque Yourcenar qui programme ainsi des événements tels des « apéros graines » 2 fois par an (en suivant le calendrier de jardinage), des journées « jardin », des moments de « speed graining » (variante du speed dating mais pour un échange de graines), etc. Ces actions ouvrent à une grande diversité d’associations et métiers : ressourcerie, « to good to go », apiculture et pollinisation, jardins partagés du quartier, « incroyables comestibles » … et rencontrent des objectifs de sociabilisations et sensibilisations par le choix d’une pluralité d’intervenants proposant des activités, des conférences, etc.
Pour Anne-Valérie, la grainothèque elle-même est ainsi « un bon point de départ vers d’autres actions : elle contribue à l’image de la bibliothèque, elle est d’ailleurs systématiquement « emportée » lors des actions hors les murs « vertes » (troc de graines sur le parvis de la mairie, participation au festival « Kiosquorama »…) ; elle est également prétexte à des rendez-vous réguliers semestriels » dont voici deux exemples indicatifs :
Apéro-graines | Journées au jardin |
3 ou 4 intervenants* autour d’un sujet d’écologie : pollinisation, recyclage, nature en ville, jardinage… L’événement se clôt avec un troc de graines. *Dans ce cadre sont intervenues des associations qui sont souvent devenues des partenaires : Jardins partagés, Incroyables comestibles, recycleries. | La grainothèque a toute sa place dans les animations organisées ce jour-là. Au programme : lectures, ateliers semis, rempotage, tataki-somé, repair café…. |
Quelques images pour mieux se représenter ces événements :
- Fresque à la manière d’Hervé Tullet réalisée lors d’une journée au jardin, exposée en façade (septembre 2022)
- Journée au jardin dans la bibliothèque (repli bienvenu aussi en cas de pluie, en avril 2022) :
- Apéros graines & co à l’automne et au printemps
Le mot de la fin ?
« La grainothèque, si elle demande un peu de temps pour rester vivante, contribue, comme partie du fonds écologie, à l’image verte de la bibliothèque », conclut Anne-Valérie : « Elle nous offre aussi l’occasion de belles rencontres ». Ainsi, tout « dernièrement, la Fondation Cartier [située géographiquement à proximité de la médiathèque Yourcenar et drainant de nombreux publics d’horizons variés par sa programmation artistique et culturelle renouvelée] nous a demandé de mener des ateliers autour des graines dans les salles même de l’exposition Fabrice Hyber La Vallée, ça a été l’opportunité de nous faire connaître auprès de visiteurs, étonnés de découvrir tout ce que proposent bien souvent les bibliothèques ! »
La Commission Bibliothèques Vertes ABF remercie vivement Anne-Valérie Malavieille pour ce retour d’expérience sur lequel cet article est bâti et vous invite à partager avec nous (par mail à bibliotheques.vertes@abf.asso.fr ou en commentant ce billet) toutes pistes qui pourront continuer d’éclairer les personnels des bibliothèques sur la mise en place et l’entretien de grainothèques, en milieu urbain ou rural. A bientôt sur ce blog ou par mail sur les enjeux de la biodiversité en bibliothèque !
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