IFLA Green Library Award 2025 : deux bibliothèques françaises lauréates !

La commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) a le plaisir de vous proposer aujourd’hui un billet, rédigé par Sophie Bobet, membre de la commission et responsable de la médiathèque James Baldwin (Ville de Paris), sur l’édition 2025 du prix des bibliothèques vertes (le Green Library Award) organisé par l’association internationale de bibliothèques IFLA et sur les deux bibliothèques françaises distinguées par ces prix cette année.

En août dernier, deux bibliothèques françaises ont effet eu l’immense honneur de voir leurs démarches récompensées par l’IFLA : la médiathèque James Baldwin (réseau des bibliothèques de la Ville de Paris) 1er prix pour la catégorie « grand projet », et la Maison de l’Environnement à Lyon avec son programme « Lire pour agir » (2e place pour le « projet Bibliothèque verte »). Derrière ce succès, c’est tout l’engagement des bibliothèques françaises de ces dernières années qui est valorisé, tant en matière de réflexion des professionnels autour de l’écoresponsabilité que d’actions concrètes envers les publics.

Médiathèque James Baldwin distinguée comme modèle d’architecture durable et d’inclusion sociale

Alors même qu’elle célèbre les 10 ans du Plan Climat, la Ville de Paris voit l’une des bibliothèques de son réseau récompensée au plus haut niveau international : la médiathèque James Baldwin, située dans le 19e arrondissement, remporte le 1er prix du Green Library Award de l’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions), dans la catégorie des projets à grande échelle. Ce prix prestigieux salue un projet exemplaire, tant sur le plan environnemental qu’humain, devant des candidatures venues de Chine et des États-Unis.

Cette distinction souligne l’engagement global de ce projet emblématique parisien qui conjugue exigence environnementale, innovation sociale et action culturelle de proximité. Partagée avec la Maison des Réfugiés, co-dirigée par Emmaüs Solidarité et Singa, la médiathèque James Baldwin s’inscrit dans une approche profondément hybride, inclusive et solidaire, portée par des valeurs d’accueil, d’émancipation et de justice sociale. Ces 2 lieux étroitement liés l’un à l’autre sont des espaces de vie, d’émancipation et d’accueil, pensés pour répondre à la diversité des besoins du territoire et aux grands défis contemporains.

Un équipement innovant dans un territoire populaire

Implantée Place des Fêtes, au cœur du 19e arrondissement, James Baldwin est le fruit d’un projet urbain ambitieux visant à doter ce quartier multiculturel et socialement contrasté d’un équipement public d’envergure. Le site Jean Quarré, qui abritait autrefois un lycée hôtelier, devient ainsi un lieu social et culturel unique en France, réunissant deux structures aux missions complémentaires, sous l’égide de la Ville de Paris.
Le territoire d’implantation n’a rien d’anodin : cet arrondissement jeune (plus de 30 % de la population a moins de 30 ans), comptant environ 25 % d’habitants issus de l’immigration, est marqué par une grande hétérogénéité sociale. L’objectif est clair : favoriser les croisements entre publics, encourager la participation, désenclaver les pratiques culturelles et répondre à des besoins sociaux multiples dans un esprit de co-construction avec les habitants, les autres bibliothèques de l’arrondissement, les associations et les institutions du territoire.

Une histoire singulière

Jusqu’en 2010, le site est occupé par un lycée professionnel hôtelier, le lycée Jean Quarré. Il ferme ses portes en 2010 pour déménager dans le 14ème sous le nom de Guillaume Tirel. En octobre 2014, un collectif d’artistes et habitants investissent ce lieu déserté depuis des années pour lui redonner vie. C’est ainsi que naît le Théâtre de verre, projet culturel alternatif, au service des artistes adhérents et des habitants ; un simple lieu d’offre et de pratiques culturelles mais aussi un espace d’échange et de rendez-vous, de solidarité, de fêtes et d’expression citoyenne.

En parallèle est annoncée par la mairie du 19e l’installation dans les années qui viennent, d’un équipement de lecture publique voté dans le cadre du projet d’investissement de la mandature 2014-2020. Cette décision vise à combler le manque d’une grande médiathèque dans le 19e et à y créer une dynamique de lecture publique avec les autres bibliothèques du secteur.

Au cours de l’été 2015, lors de la crise migratoire intense que connaît l’Europe, l’ancien Lycée Jean Quarré, alors désaffecté, est occupé par des personnes exilées sans papiers ainsi que par des collectifs et associations de soutien. Face à l’urgence humanitaire et sanitaire résultant de l’afflux croissant de personnes, l’établissement est évacué en octobre 2015. La Ville et l’État confient à Emmaüs Solidarité la création et la gestion d’un Centre d’Hébergement d’Urgence pour Migrants (CHU), qui ouvre ses portes le 14 février 2016, accueillant 150 hommes (réfugiés, demandeurs d’asile et dublinés).

Ces événements sont à l’origine du projet de médiathèque/Maison des réfugiés destiné à offrir à la fois un accès universel à la culture et un espace d’accueil et d’accompagnement pour les personnes exilées.

Une architecture écoresponsable et frugale

L’architecture du bâtiment, signée par le cabinet Philippe Madec, pionnier du développement durable, repose sur les principes de “frugalité heureuse”. L’ancien lycée réhabilité est un bâtiment en béton. Dans une optique de réemploi, l’architecte-urbaniste Philippe Madec, concepteur du projet, a fait le choix de conserver la structure et l’enveloppe du bâtiment existant, et de réutiliser les matériaux existants, afin de « faire du bâtiment sa propre matière première ».

À travers ce projet, il applique le principe de la frugalité heureuse et créative qu’il défend. Dans l’architecture du bâtiment, cela se traduit par la volonté d’utiliser moins de béton, d’employer des matériaux bio-sourcés, de favoriser le réemploi et d’optimiser la ventilation et l’apport de lumière naturelle. Outre l’inscription dans une économie circulaire, le parti du low-tech est à l’œuvre dans le fonctionnement même du bâtiment : la ventilation se fait par des registres manuels, l’ouverture de persiennes favorisant le « free-cooling », des brasseurs d’air et des murs en terre crue venant compléter le dispositif. Ainsi les utilisateurs de la médiathèque sont partie prenante de son fonctionnement, été comme hiver. À ce titre, avec l’accompagnement de la société Tribu, le bâtiment devient un laboratoire des nouvelles pratiques dans la perspective du changement climatique. De même la nature est omniprésente : patio central abritant un charme, typique des forêts françaises, jardin potager partagé confié à l’association des Paysans urbains, spécialistes de la permaculture, « jardin d’ombre » au 1er étage, ouvrant sur des pins et arbres fruitiers, où les lecteurs peuvent venir lire paisiblement, enfin toitures végétalisées au moyen de plantes ombellifères franciliennes pour accueillir papillons et moineaux.

Le projet a reçu plusieurs reconnaissances techniques et environnementales, dont le label Bâtiment Durable Francilien (BDF Or, conception et réalisation), le prix récompensant la rénovation d’une architecture au moyen du bois, et la labellisation BiodiverCity, témoignant d’une exemplarité écologique à toutes les étapes du chantier. Le bâtiment constitue ainsi un modèle d’urbanisme responsable en quartier populaire, prolongeant la rénovation de la Place des Fêtes et contribuant à la transformation durable du tissu urbain parisien.

Une médiathèque catalyseur de liens et d’émancipation

Avec une surface totale de 3 200 m² sur un terrain de 5 000 m² incluant 4 000 m² d’espaces verts (jardins partagés, jardin d’ombre, place centrale végétalisée), l’établissement a été pensé comme un lieu de lien social et de rencontre.

La médiathèque James Baldwin est la première grande médiathèque de l’arrondissement. Elle complète ainsi l’offre de lecture publique du 19eme avec les 5 autres bibliothèques existantes : Astrid Lindgren (bibliothèque jeunesse), Jacqueline Deyfus-weil, Hergé, Levi-Strauss et Rabier.

À Baldwin, ce sont 40 agents qui y travaillent répartis sur 3 grands pôles : collections, médiation et action culturelle/communication, ainsi que 16 étudiants vacataires le week-end et 2 services civiques. Elle est ouverte du mardi au dimanche pour une amplitude horaire de 42 heures.

La médiathèque James Baldwin est aussi le 5ème « pôle sourd » du réseau de la Ville de Paris : deux collègues sourds font partie de l’équipe, qui est par ailleurs entièrement formée à la Langue des signes française (LSF) pour offrir un accueil bilingue. Un fonds spécifique y est développé autour de la culture sourde (roman, manga, albums…). La programmation culturelle propose des animations bilingues en Fr/ LSF et des événements de plus grande ampleur sont organisées avec les 4 autres pôles sourds de la ville.

Le champ social est au cœur du projet, dans une dynamique de co-construction entre les acteurs culturels, sociaux et associatifs du territoire, le 19e arrondissement et le quartier Place des Fêtes en particulier étant riche d’un vaste tissu associatif. Le pôle médiation donne corps à cette dynamique avec ses actions en direction des publics les plus éloignés (précaires, exilés, seniors, adolescents, mères isolées, familles hébergées en hôtels sociaux etc.) et avec les liens qu’il tisse avec les associations locales dans une volonté de co-construction et d’échanges ainsi, bien sûr, qu’avec la Maison des réfugiés.

La programmation culturelle construite elle aussi avec de multiples partenaires, culturels et sociaux, associatifs et institutionnels, s’articule autour de grands temps forts, nationaux ou internationaux, comme la Journée Mondiale des Sourds, la journée mondiale des réfugiés, la journée internationale des droits des femmes etc. Ou autour de temps forts initiés par le réseau des bibliothèques de la ville de Paris mettant à l’honneur la musique (festival Monte le Son), l’éducation aux média (festival en quête d’info), la science (automne de la science), la jeunesse ou les adolescents, ainsi que les tout-petits lors du mois de la Petite Enfance lors duquel les bibliothèques du 19e s’associent pour proposer des actions à destination des publics et des professionnels de la petite enfance.
Sont proposés à toutes ces occasions projections, débats, rencontres, conférences ou spectacles, mais aussi un salon du fanzine queer, ou un festival littéraire mettant à l’honneur les autrices. Des actions hors-les-murs font partie de la programmation estivale de l’ensemble du réseau dans les parcs et jardins ou en pied d’immeuble.
Pôles médiation et action culturelle conjuguent leurs efforts pour toucher les publics les plus divers notamment les publics marginalisés (personnes exilées, personnes sourdes, communautés LGBTQIA+), dans une logique d’accessibilité universelle.

Le partenariat naturel et évident avec la Maison des réfugiés enrichit à la fois cette offre culturelle mais aussi les actions de médiation vers les différents publics dans une dynamique de co-construction. Ce fonctionnement en synergie permet de mutualiser les compétences et de proposer des actions innovantes, à l’image des ateliers de conversation, multilingues (y compris langue des signes), des projets d’accueil de primo-arrivants ou encore des dispositifs de sensibilisation à l’environnement. Un fanzine « Sur la montagne » a ainsi été réalisé par de jeunes réfugiés allophones avec le portage de trois associations, Transonore, Kolone et Fabrication Maison.

Un nom porteur de sens : James Baldwin

Le choix du nom de la médiathèque rend hommage à James Baldwin, écrivain majeur du XXe siècle, figure emblématique des luttes pour les droits civiques aux États-Unis, intellectuel engagé pour l’émancipation des Noirs, des personnes LGBTQIA+ et des minorités. Parisien d’adoption, James Baldwin, arrivé à Paris en 1924 pour y développer son œuvre littéraire, incarne une pensée libre, universaliste et profondément humaniste, en parfaite résonance avec les valeurs portées par l’équipement. Ce nom de médiathèque, hautement symbolique, inscrit l’établissement dans une perspective de résistance culturelle, d’hospitalité, et de mobilisation citoyenne, au service de la construction d’un monde plus juste.

Avec la médiathèque James Baldwin, la Ville de Paris confirme son ambition de réinventer les bibliothèques comme des tiers-lieux agissant au cœur des enjeux contemporains : transition écologique, cohésion sociale, lutte contre les discriminations, accès à la connaissance pour tous.
La dernière-née du réseau parisien, la médiathèque Virginia Woolf dans le 13eme arrondissement, s’inscrit elle-aussi dans cette ambition, avec ses espaces de travail évolutifs et notamment passerelles avec les étudiants voisins et ouverts pour eux au-delà des heures d’ouverture de l’établissement.

En articulant des logiques d’aménagement durable, de médiation culturelle et de solidarité, ce projet se positionne comme un jalon essentiel d’un service public du XXIe siècle, à la fois accueillant, responsable et profondément ancré dans son territoire. Le Green Library Award de l’IFLA vient saluer cette vision audacieuse et nécessaire.

Maison de l’Environnement à Lyon avec son programme « Lire pour agir »

La Maison de l’environnement à Lyon se voit aussi récompensée cette année, pour son programme « Lire pour agir ». Il s’agit d’un prix littéraire engagé que nous avions présenté sur le blog en 2024 : Lumière sur un prix engagé pour une transition écologique : « Lire pour agir » ! – ABF Bibliothèques Vertes, billet que nous vous invitons à lire attentivement pour comprendre la genèse et le fonctionnement du dispositif.

Il convient de noter également la gestion éco-responsable de l’événement, mise en avant par la Maison de l’environnement dans son dossier de candidature au Green Library Award, dont voici l’extrait correspondant :

L’édition 2025 du prix est en cours ! Vous trouverez toutes les informations sur cette édition ici : Lire pour agir 2025. Une soirée de clôture est prévue le 2 décembre à la Bibliothèque municipale de Lyon.

La présélection pour la prochaine édition 2026 (5e bougie pour ce prix !) est en cours… L’anticipation est l’une de des clés du succès du prix !

En écho au prix lui-même, la Maison de l’Environnement a pour projet d’accueillir une résidence d’auteur en 2026 et d’organiser une journée d’étude, qui porterait sur la place du livre dans les parcours d’engagement et la présentation d’un état de l’art de la recherche sur cette question. Des sélections du prix Lire pour agir sont également chroniquées sur le podcast « En un battement d’aile » : les trois premiers épisodes sont consacrés aux sélections Lire pour agir 2025 et les articles sont à retrouver aussi sur le site du podcast.

En route pour 2026

L’appel à candidatures pour l’édition 2026 du Green Library Award de l’IFLA est ouvert jusqu’au 30 janvier 2026 !

Pour mémoire, le prix est décerné en deux catégories :

  • Meilleure bibliothèque verte / projet à grande échelle
  • Meilleur projet de bibliothèque verte

Vous trouverez toutes les informations utiles pour informer et le cas échéant candidater, à ces liens :

Vous retrouverez enfin à ce lien un précédent billet sur le prix obtenu en 2022 par la médiathèque de La Canopée : Retour sur le prix IFLA bibliothèque verte 2022 – ABF Bibliothèques Vertes.


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