Une bibliothèque jardin et plus encore : le projet mené à Maurice Genevoix

La bibliothèque Maurice Genevoix (Paris 18e arrondissement) constitue assurément l’une des « bibliothèques vertes » les plus actives de Paris, mais bénéficie d’une moindre visibilité que ses grandes sœurs de la Canopée, Baldwin, ou Marguerite Yourcenar. Cet article résume l’entretien en visioconférence, organisé le 2 mai 2025, entre le directeur de cette bibliothèque, Benoît Sudreau, et l’un des membres de la commission ABF Bibliothèques vertes, Jean-Marie Feurtet. 

Projet de service

Inaugurée en 1991 dans un quartier prioritaire Politique de la Ville (QPV), le « quartier Queneau Chapelle Évangile » marqué par un fort taux de pauvreté et un enclavement géographique (dont l’éloignement de certains services publics), la bibliothèque Maurice Genevoix s’est progressivement tournée, autour de 2020, vers un projet « holistique » alliant les deux « axes de la conscience environnementale et de la solidarité » (ainsi que le rappelle le site de la ville de Paris). 

Plusieurs jalons et événements ont mené à enclencher un programme de travail reposant sur les trois piliers de la frugalité, de la participation et de la solidarité : 

  • en 2017, l’arrivée en poste de son actuel directeur, animé d’une volonté forte de lier écologie et solidarité, en mobilisant les ressources de l’éducation populaire en particulier ;
  • la nouvelle mandature de la ville de Paris, qui a fait de l’écologie son axe central pour 2020-2026 ;
  • en 2021, suite à des départs en retraite et des réorientations professionnelles simultanés, le renouvellement de la quasi-totalité de l’équipe (6 agents sur 8) a été organisé sur la base de recrutements priorisant des critères d’expériences et de sensibilité socio-écologiques, en plus des compétences métier classiques (appétences fortes pour l’accueil notamment) ;
  • le phénomène, marqué dans le quartier, de désocialisation post-crise Covid, touchant en particulier les adolescents, a appelé le besoin de réponses coordonnées et ancrées localement ; 
  • la nécessité croissante d’arbitrages budgétaires a encouragé à donner son plein sens à la notion de frugalité : se recentrer sur des outils moins hétéronomes et davantage partagés, décentrer les modes opératoires et de pensée pour trouver d’autres solutions (récupération, seconde main, partenariats, mise en commun voire coopérative…) tout en respectant ses missions. La frugalité est appropriée à la BMG comme un levier de créativité : faire avec peu, sans atteinte ni à la qualité du service public rendu ni aux ambitions. 

Le jardin

L’un des points d’ancrage initiaux de cette bibliothèque verte, le jardin, a fait l’objet, dès 2017, d’un projet de réaménagement au titre du budget participatif de la Ville : le but premier était d’en faire un espace accueillant invitant à la lecture (et figurant à ce titre parmi les « adresses secrètes où il fait bon lire à l’ombre » à Paris) et à certaines activités de plein air, et d’en faire un terrain d’expériences autour des plantes comestibles.

En évoluant vers un concept participatif à partir de 2020, il devient un outil social, central mais non unique, d’un programme plus vaste de « vivre-ensemble écologique » : apprendre à planter et offrir des relations à la terre à des enfants difficiles (parce que délaissés par les adultes), aider à (re)prendre conscience de l’autre (sens de la « médiation douce », du « care » envers les autres êtres humain et vivants), sur terre et en société, aider aussi à prendre conscience de soi à travers ses sens (corps et motricité, goût…). 

Les mains à la terre
Un atelier « Graine de jardinier » animé par l’association Vergers urbains,
dans le jardin participatif de la BMG

La recette de son succès est clairement d’avoir été confié à une diversité d’acteurs, et de n’avoir pas reposé sur les seules initiatives et animations des bibliothécaires : la gestion de ses parcelles a été répartie entre habitants du quartiers, associations, et scolaires. Sur seulement 55 m² (soit 10% de la superficie de la bibliothèque), ce microcosme permet d’éduquer aux pratiques écologiques (deux récupérateurs d’eau de pluie permettant d’éviter d’utiliser l’eau courante et accueillant des poissons rouges, véritables mascottes anti-moustiques des lieux ; composteur participatif avec bacs pour les riverains et les écoles) et alimentaires (les publics se partagent les ressources et les règles d’usage des arbres fruitiers et plantes aromatiques, sources intarissables d’animations aussi bien artistiques que gastronomiques ; des plantes parfois exotiques servent de passerelles pour l’accueil de publics allophones…). D’autres organismes viennent parfois rendre visite ou prendre conseil auprès de la Bibliothèque Maurice Genevoix, forte de cette expérience pluriannuelle de jardin participatif.

Espaces et services

Frugalité et participation s’expriment également dans les autres espaces de la bibliothèque (jusqu’à la façade servant de support aux fresques et mosaïques des habitants et à des artistes) et dans d’autres services écologiques (bac à dons du quartier, plant-sitting pour les vacances…).

La salle Adultes a été revalorisée grâce à un projet « zéro euro », faisant appel aux dons (mobiliers) et aux idées des habitants qui peuvent y imprimer leur marque pour la rendre plus chaleureuse ; le budget participatif 2023 a par ailleurs permis l’achat de mobilier ludique en bois recyclé et issu de l’emploi solidaire local. 

Un exemple de mobilier recyclé [meuble à mangas, entreprise Extramuros]

Au cœur d’un projet d’écologie relationnelle, la taille humaine de l’équipe et des locaux permet certainement de travailler, plus facilement que dans un grand équipement, sur le rapport au temps et à investir l’écoute : les agents travaillent particulièrement leurs capacités aux médiations improvisées, à soigner la convivialité en accueillant non seulement tous les publics et habitants du quartier, mais aussi l’imprévu. Cela s’étend à la prise en compte des besoins de chaque agent en termes de rythmes, l’organisation interne étant trop souvent le parent pauvre des programmes d’écologie relationnelle : le temps collectif du matin (9h30) est inclus dans les fiches de poste afin de cultiver un climat de dialogue et de solidarité interne, et in fine une forme d’écologie humaine parmi les professionnels acteurs du lieu.

Interroger notre rapport au numérique

Autre exemple majeur dans cette approche holistique de l’écologie : le programme d’action culturelle a été volontairement « dénumérisé », non seulement pour mieux se consacrer à la lecture, au jeu, à la culture scientifique et aux activités manuelles, mais aussi pour créer un environnement préservé des multiples impacts toxiques du numérique et pacifier les relations avec les publics enfants et adolescents. 

La déconnexion pour les enfants en toute simplicité :
jeux de société (issus de la ressourcerie le Poulpe) sur l’herbe 

Benoît Sudreau vient ici interroger la doxa du numérique qui imprègne la profession de bibliothécaire : ses effets nocifs, notamment sur le développement de l’enfant et en contexte éducatif et de transmission, sont beaucoup trop invisibilisés. Les seuls écrans de la bibliothèque servent essentiellement aux projections (collectives) Cinémômes, ou à l’aide aux démarches en ligne (4 postes en salle Adultes), que d’autres partenaires dédiés à l’inclusion numérique assurent de manière plus spécifique (École Normale Sociale (ENS Torcy), Mairie mobile). Rendue à des modes d’expression non-numériques, la bibliothèque peut s’exprimer comme outil de progrès social (et pointer en creux les réalités problématiques du « fait social » total qu’est devenu le numérique). 

Tissu partenarial et associatif

En dépit (et à l’encontre) de l’isolement relatif du quartier, l’écosystème partenarial et associatif riche dans lequel s’insère la Bibliothèque Maurice Genevoix est l’un des principaux leviers de sa frugalité revendiquée, et le terreau de son action écologique « discrète », mais tous azimuts et en profondeur.

Parmi de nombreuses associations, plusieurs ont une place importante dans le projet socio-environnemental de la bibliothèque, avec lesquelles la salle d’animation est partagée. On pense aux animateurs associatifs qui prennent une part à la vie du jardin : Vergers urbains (visant à « rendre la ville comestible » et créateurs des jardins partagés du parc Chapelle-Charbon) et Gens de Cottin (pour la végétalisation de l’espace public) ; mais aussi Alineas (association promouvant une « Économie Autre et Solidaire », dont le commerce équitable), le Centre social ENS Espace Torcy, encore Activ’18 (entreprise à but d’emploi de Chapelle Nord, dans le cadre de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » : boutique et cantine solidaires, éco-construction…).

Certaines animations ont lieu dans d’autres espaces verts proches, comme lors des visites de ruchers au lieu artistique « le Shakirail » ; l’hôtel à oiseaux du « plan moineaux » lancé par la ville de Paris, devant bénéficier d’une orientation, a dû être implanté sur un mur mitoyen. Avec le Centre d’animation Jean-Michel Martial, la bibliothèque a relancé le « Collectif des Jardins de la Chapelle », pour la cohésion des jardins partagés et des actions communes (tour des jardins en petit train avec 60 habitantes et habitants en juin 2025).

La crise Covid et ses conséquences ont poussé à mettre en place une véritable coordination socio-culturelle du quartier, avec l’appui de l’Équipe de Développement Local et la Direction des Solidarités : des « réunions de village » ont depuis lors lieu tous les deux mois, pour s’échanger des informations, améliorer la cartographie des services ou le suivi de questions communes (demandes budgétaires, sécurité, repérage et possibilités de dons, etc.). L’annuaire de quartier en préparation, entre autres outils de mise en commun, s’avère d’autant plus nécessaire que le périmètre Chapelle Nord est vaste et que sa population est en train de s’accroître significativement (opérations immobilières en cours de finalisation). Cet archipel coopératif permet à la Bibliothèque Maurice Genevoix d’élargir et de dépasser la notion de tiers-lieu, bien au-delà du point services ou du guichet culturel ; dans une logique de mise en commun, et non de vitrine ou de miroir du consumérisme. 

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Pour conclure sur cette dimension relationnelle qui couronne véritablement la notion d’écologie pour Benoît Sudreau, ce dernier partage un moment marquant autour d’un puzzle, qu’illustre cette photo : 

« Ce moment est celui où des jeunes filles de 12 ans, très agitées (dénotant qu’elles cherchaient l’attention des adultes), ont accepté de s’atteler à un puzzle 6 ans et plus, en avouant qu’elles avaient peur de ne pas arriver au bout. Elles y sont parvenues, en recueillant une vraie fierté, et sont revenues le lendemain pour refaire ce puzzle avec beaucoup plus d’efficacité. L’action n’a pas nécessité de moyens particuliers (le puzzle avait été donné), surtout pas d’écran : juste du temps, de la patience et de l’attention. Et pour autant, ce moment est resté pour moi l’un des plus marquants et révélateurs de ce que peut être l’écologie relationnelle et ses bénéfices en termes de résilience éducative et sociale. »

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