Entretien avec Reine Bürki : engager les bibliothèques dans la transition écologique

A l’occasion de la sortie imminente de l’ouvrage Engager les bibliothèques dans la transition écologique à paraître le 16 novembre 2023 aux Presses de l’Enssib, dans la collection Boîte à Outils, la commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) a pu s’entretenir avec Reine Bürki sous la direction de laquelle ce titre, dont nous reproduisons la couverture et le résumé éditeur ci-dessous, a été conçu :

Vous lirez ainsi, dans le présent billet, les questions, en vert ci-dessous, pensées et posées par Philippe Colomb, membre de notre commission, à Reine Bürki, ainsi que les réponses apportées par celle-ci, sur un projet dont la gestation aura duré plus d’un an, et qui sera dans quelques jours désormais à portée de lecture en librairies et dans les fonds professionnels de tous types de bibliothèques.

A l’heure où la question de l’engagement traverse notre profession, vous avez choisi un titre fort : « Engager les bibliothèques dans la transition écologique ».  Pouvez-vous revenir sur les raisons de ce choix ?

« Le titre d’un ouvrage, c’est un choix qui n’est pas neutre et qui donne un sens à l’ensemble.

J’ai pu échanger sur ce titre avec les auteurs.es et la directrice de collection avant de le stabiliser : c’était important de pouvoir partager ensemble sur cet intitulé volontairement proactif, qui est aussi, dans son énoncé, une forme de manifeste !

  • Il y a ce verbe d’action – engager – qui pose implicitement la question (politique, environnementale, sociétale) de la responsabilité et de la mobilisation des institutions. Ce choix porte en soi la conviction que nos établissements sont en capacité d’agir, à travers leurs missions et leurs activités, mais qu’ils sont aussi des lieux essentiels de sensibilisation et de transmission. S’engager, c’est également se confronter à l’immédiateté du présent, prendre en considération une situation de crise environnementale et sociétale qui nous positionne tous, citoyens et professionnels, dans un « ici et maintenant » qui nécessite de faire action commune. Les bibliothèques – au pluriel – traduit la diversité des terrains et des situations, c’est la force de la multitude et l’idée qu’il n’y a pas de frontière ou de typologie : quels qu’en soient les échelles ou l’ancrage, toutes les bibliothèques peuvent se mobiliser.
  • La transition écologique est une notion ouverte : elle porte un processus de changement et nous positionne d’emblée dans un écosystème de relations (au monde, aux autres et à nous-mêmes) aujourd’hui en situation de rupture et qui implique de refondre nos façons de fonctionner, de consommer, de collaborer… »

Comment avez-vous identifié et choisi les auteurs et les autrices que vous avez sollicité.es ?

« En première intention, c’était important de délimiter ce sujet qui n’est pas spécifique au champ des bibliothèques. C’est donc tout d’abord la problématique et ses implications dans nos activités qui ont esquissé les orientations du sommaire : les questions de fonctionnement et d’usages, de pilotage, de coopération, de services, d’accueil… mais aussi la façon dont ce sujet renouvelle nos savoirs professionnels et le rôle des bibliothèques.

Les auteurs.es de l’ouvrage [Élisabeth Arquier, Raphaëlle Bats, Sophie Bobet, Reine Bürki, Marion Cazy, Nathalie Clot, Lionel Dujol, Bruno Fouillet, Natalia Leclerc, Vanessa Minarro, Johanna Ouazzani, Claire Papillon, Florence Rodriguez, Marin Schaffner, Joachim Schöpfel, Fanny Valembois] sont tous et toutes investis.es dans ces problématiques, avec parfois des engagements dans la formation professionnelle et sur des terrains d’exploration complémentaires : les bibliothèques dans leur fonctionnement et leur pilotage, mais aussi l’évolution des compétences, les politiques publiques, le champ associatif, la recherche, la médiation, la démarche environnementale… Chacun et chacune apporte un éclairage à partir de ses propres outils et de ses expérimentations. Au-delà des actions concrètes et des cadres méthodologiques qui sont partagés dans l’ouvrage, c’est aussi cette diversité des expériences et des discours qui a guidé le choix des auteurs.es. Cela permet d’interroger collectivement le repositionnement des bibliothèques au cœur d’un enjeu sociétal dont l’impact est global et non spécifique à nos métiers, avec sa part de défrichage et d’inconnu. »

La transition écologique des bibliothèques fait actuellement l’objet de nombreuses publications, notamment dans la presse professionnelle et sur des blogs. Pourquoi avoir choisi de faire un livre sur ce sujet ?

« Notre profession s’inscrit dans l’actualité du sujet et cela se traduit par des actions et des publications : blogs, webinaires, journées d’étude, boites à outils, guides, etc. Dans le contexte de crise environnementale et sociétale, cette dynamique professionnelle est indispensable, c’est un levier important de sensibilisation et de mobilisation pour accompagner les bibliothèques au changement et les positionner comme des actrices de la transition.

Faire un livre, c’est choisir l’unité d’un support : au sein de ce paysage riche et foisonnant, la littérature professionnelle éditée offre un espace stabilisé et pérenne. Le livre édité (papier, numérique) porte également une valeur ajoutée éditoriale qui tend à disparaître dans des formes plus éphémères de publication : un travail sur les textes, mais aussi la mise en dialogue de contributions envisagées dès le départ comme un ensemble.

Un tel ouvrage n’est jamais exhaustif – a fortiori dans un contexte aussi évolutif – c’est une photographie à l’instant T qui documente nos pratiques et ouvre des perspectives. »

Avez-vous le sentiment que les bibliothèques françaises ont collectivement pris la mesure des changements que la transition écologique implique et sont prêtes à les assumer ?

« On voit à de nombreux signaux que notre profession s’approprie ces enjeux, dans la continuité de la mobilisation du groupe Bibliothèques françaises et Agenda 2030 lancée en 2017. Cet éveil (pour certains déjà ancien) s’inscrit à plus grande échelle dans une « montée en conscience » collective, que ce soit au niveau des politiques publiques qui se structurent ou des mobilisations citoyennes. Dans le champ professionnel, on peut concrètement observer le développement d’une offre de formation autour de la transition écologique, l’apparition d’un domaine « transition écologique et responsabilité sociale » au sein du Référentiel national de compétences des bibliothèques territoriales, ou bien encore le lancement de la commission Bibliothèques vertes de l’Association des Bibliothécaires de France à l’été 2022.

La mesure des changements dont vous parlez vient à la fois d’un mouvement interne porté par des professionnels engagés et des acteurs de l’interprofession, mais elle s’inscrit aussi dans la réalité d’une urgence climatique et de la nécessité politique d’accompagner la transformation des organisations, et plus largement de la société, dans cette transition. En bibliothèque, cela concerne des enjeux d’adaptation et de fonctionnement au quotidien (bâtiments, usages, consommation énergétique, mobilités, équipement et conservation des documents, numérique, etc.), de développement de ressources, de médiation, de sensibilisation et d’accueil…

Personne ne maîtrise la transition écologique. Elle porte ses propres freins : scepticisme, défaitisme, sidération, désinformation… Il faut du temps pour en intégrer les implications, mais aussi une part de témérité pour s’y engager, expérimenter et réitérer. L’assumer, c’est donc aussi considérer l’incertitude non pas comme un horizon indépassable, mais comme une qualité constitutive de notre adaptation. Un des grands défis n’est peut-être pas tant de développer des nouveaux savoirs ou de nouvelles actions, que de faire collectivement un saut cognitif et émotionnel pour projeter ensemble la bibliothèque de demain. »

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La Commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France remercie vivement Reine Büki de sa disponibilité pour le présent entretien. Nous nous réjouissons de compter parmi les autrices et auteurs de l’ouvrage un certain nombre de collègues investis présentement dans notre commission – Elisabeth Arquier, Sophie Bobet et Florence Rodriguez – ainsi qu’un ensemble de collègues avec qui nous échangeons régulièrement sur les enjeux de développement durable et de responsabilité sociétale et environnementale en bibliothèques et au-delà.

Quelques informations complémentaires pour poursuivre plus avant dans cette mise en bouche :

  • Vous trouverez, en complément, à télécharger ci-dessous, le sommaire de l’ouvrage d’Engager les bibliothèques dans la transition écologique ainsi coordonné par Reine Bürki, organisé en 3 parties :
    • Fonctionner durable
    • Manager environnemental
    • Agir responsable
  • Nous vous donnons rendez-vous le 12 décembre prochain à la Bibliothèque Publique d’Information, dans le cadre de la Journée d’étude Pour une transition écologique des bibliothèques coorganisée par l’Association des Bibliothécaires de France et la Bibliothèque Publique d’information, pour un rendez-vous intitulé « Regards croisés sur les bibliothèques actrices de la transition écologique », dialogue croisé, à deux voix / deux regards investis dans cette dynamique de travail : Reine Bürki au titre de sa coordination de l’ouvrage présenté dans ce billet, et Julie Curien dans ses missions de coordination de la commission Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France.

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