Les commissions Advocacy et Bibliothèques Vertes de l’Association des Bibliothécaires de France (ABF) conduisent une campagne de plaidoyer sur les bibliothèques actrices de la transition écologique. Dans le cadre de cette démarche, nous avons recueilli de précieux témoignages sur le dynamisme des bibliothèques sur ces enjeux, et nous les partageons avec vous, à travers une série d’entretiens que nous avons eus avec des bibliothécaires engagés ayant répondu à notre enquête. Bonne lecture !
Aujourd’hui, Isabelle Bontemps, membre de la commission Bibliothèques Vertes ABF, donne ainsi la parole à Laurence Marconnet, chargée d’études depuis 2023 sur les diverses évolutions en cours dans le réseau de lecture publique de Villeurbanne et sur les différents enjeux à venir pour les bibliothèques :
L’engagement de la commune pour la transition écologique
La ville de Villeurbanne met à disposition de ses 162 000 habitants un réseau de lecture publique composé de deux bibliobus (adulte et jeunesse), d’un service d’éducation artistique, culturelle et scientifique au sein des groupes scolaires publics et de trois médiathèques réparties sur le territoire. L’inscription est gratuite depuis septembre 2024.
La ville de Villeurbanne a voté le 15 décembre 2021 son engagement dans la démarche « Territoire Engagé pour la Transition Écologique ». Les bibliothèques publiques peuvent être un incubateur idéal pour les questions de développement durable, comme le souligne le manifeste de l’UNESCO (2022) qui proclame que la bibliothèque publique est une force vive pour l’éducation, la culture, l’inclusion et l’information et un agent essentiel du développement durable, de l’épanouissement individuel, de la paix et du bien-être spirituel de tous les individus. Les actions liées à l’écologie menées dans le réseau de lecture publique s’inscrivent donc, à la fois, dans les préoccupations majeures et missions de la communauté professionnelle et dans la transition écologique menée sur le territoire villeurbannais.
Les dynamiques à l’œuvre
Plusieurs dynamiques sont à l’œuvre, portées par les différentes équipes du réseau, afin de contribuer à une société plus durable et plus égalitaire.
Constituer des collections pour accompagner les transitions
Les fonds développés proposent des informations pouvant susciter la compréhension des enjeux sociétaux que représentent, pour exemples, une alimentation plus saine pour tous, le bien-être à tous les âges, l’accès égalitaire à l’information, à la formation et à la culture tout au long de la vie, la réduction des inégalités et l’accessibilité ou encore une consommation plus responsable et la protection de l’environnement. Ils permettent la préparation et l’adaptation aux changements, une transformation des comportements. Les questions socio-environnementales sont donc très représentées au moyen de l’offre de collections, au travers des grainothèques proposées dans les trois médiathèques, et de toutes les actions de médiation menées régulièrement et depuis des années par les différentes équipes du réseau, favorisant la sensibilisation des publics, la formation, le partage de connaissances, les échanges et la participation au débat sur les questions écologiques et sociétales.
Réduire l’impact environnemental de l’activité des bibliothèques
L’interrogation des gestes métiers participe à la formation continue des professionnels. Sollicitant la réflexion sur nos pratiques, nous amenant à expérimenter en vue de trouver des améliorations et solutions adaptées, elle contribue à la poursuite des évolutions continues des bibliothèques, ici tendant précisément à la réduction de notre impact écologique dans notre fonctionnement, ce en adéquation avec l’ensemble de nos actions de sensibilisation des publics (collections et actions de médiation). Pour exemples, nous veillons déjà à travailler le plus possible « en circuit court« , à donner une seconde vie aux documents désherbés via dons et ventes, à limiter les impressions papier, à éteindre ordinateurs et autres matériels après utilisation, à échanger des fichiers lourds via des dossiers communs plutôt que par mails, à remplacer l’usage de bouteilles en plastique pour l’accueil d’intervenants par l’usage de carafes d’eau, à utiliser les vélos municipaux pour des déplacements professionnels sur le territoire, à trier et recycler différents matériaux (papier, plastique, cartouches d’imprimante, cartouches de coteuse, déchets alimentaires).
Et, en matière de fonctionnement plus écologique, nous sommes de manière continue à la recherche de solutions !
Expérimenter la non couverture des livres
La direction a souhaité constituer début 2024 un groupe de travail afin d’initier une expérience de non couverture systématique des livres.
En tant que coordinatrice du groupe, j’ai débuté cette mission par la recherche de documentation permettant de mieux nous éclairer sur les impacts du plastique sur la santé et l’environnement, sur l’analyse de son cycle de vie, de sa fabrication à son élimination, sur les produits dits substituts comme les « biosourcés » actuels, qui ne répondent pas pleinement aujourd’hui aux enjeux environnementaux. Nous avons approfondi nos connaissances et enrichi nos réflexions en prenant appui sur la communauté professionnelle et auprès de structures et associations comme l’ADEME, Écologie du livre, la Maison de l’environnement de Lyon, la fondation Tara Océan, la charte Fleuve sans plastique etc.
En parallèle, j’ai réalisé un premier travail de statistiques sur les fonds et constitué une base outil de réflexion qui a permis, d’une part à la direction de délimiter le nombre d’acquisitions annuelles qui participeraient au test, soit 20 % des livres adultes et de 5 à 10 % en secteurs jeunesse et, d’autre part, aux différentes équipes de travailler à la sélection des segments de collections qui seraient concernés. Sur ce point, les interrogations des collègues ont été nombreuses et les points de vue ont divergé. La réflexion sur les différents critères à retenir a demandé plusieurs semaines de travail et réunions du groupe, soulevant des questions précises quant aux taux d’emprunts et thématiques à retenir, à la durée de conservation dans les collections, aux types d’éditions, aux différents lectorats etc. De nombreuses inquiétudes, bien naturelles, ont été formulées, surtout liées à la préservation des collections en regard des missions des bibliothèques. Les différents services ont finalement sélectionné des segments de collections selon des critères qui diffèrent un peu, ce qui est venu enrichir l’échantillon du test.
Il a été aussi nécessaire d’envisager et d’établir une procédure de suivi des livres non couverts pour les collègues via une inscription informatique commune, la plus légère possible. Une zone de note de la notice exemplaire est pour cela utilisée, dans laquelle sont inscrits des mots clés correspondants aux différents états successifs possibles, liés uniquement au test et au suivi des couvertures : TEST (pour tout document mis en test) ; REPAR 1, REPAR 2 (et suite pour une ou des réparations successives de la couverture) ; PILON ; RACHAT.
Le test a débuté en juillet 2024. Les publics ont été associés dès le lancement de l’opération selon plusieurs modalités : la médiation orale dans les espaces ; la réalisation d’un atelier de pochettes de transport ; la création d’une étiquette de signalétique apposée sur tous les livres non couverts ; la réalisation d’une affiche et d’un marque-page avec lesquels a été faite une campagne de communication durant les premiers mois ; la rédaction et mise en ligne d’un article sur le site accompagnée d’une communication sur le compte Facebook des médiathèques ; la mise à disposition dans les médiathèques et via Internet de dossiers scientifiques vulgarisateurs consacrés au plastique, pour le public adolescent et adulte ainsi que pour la jeunesse. Associer les publics à cette démarche est apparu essentiel à double titre : sensibiliser les usagers à la protection des livres ainsi qu’à l’environnement. A mi-parcours, l’accueil des publics se révèle mitigé : l’initiative est saluée pour une part au motif de réduire l’usage du plastique, mais des craintes d’abîmer les livres non couverts sont également exprimées par d’autres usagers. Le changement est important, et les craintes légitimes. Elles renvoient à des pratiques inscrites dans les habitudes des usagers depuis des décennies. En bibliothèque tous les documents sont protégés par des boîtiers, des pochettes, des couvertures plastiques, et les bibliothécaires ont à cœur d’expliquer combien il faut « prendre soin des documents », aux enfants comme aux plus grands. Les collègues rassurent les usagers en leur précisant qu’il ne saurait être reproché, au retour d’un document en test, une couverture présentant des coins abîmés ou quelques salissures liés à l’usage. Cette expérience demande donc un important travail de médiation de la part des équipes.

Premiers bilans d’étape. Durant les deux premiers mois, aucun élément propre à la circulation des documents n’était couvert mais nous avons constaté en septembre que de très nombreuses cotes se décollaient. Le groupe de travail s’est donc réuni pour émettre différentes hypothèses de remédiation et a finalement opté pour recouvrir celles-ci d’une bande minimum de « film biosourcé », ce qui a résolu le problème. Ayant observé quelques salissures de couverture, le groupe de travail a renouvelé sa préconisation d’écarter du test les couvertures non glacées, unies et claires. Les coins des couvertures cartonnées et épaisses ont tendance à s’user. Pour y remédier, l’atelier d’équipement et de réparation du réseau fabrique des coins sur mesure afin de les renforcer et de les protéger. Si l’usure de ces coins s’avère importante au fil des mois, il nous faudra, peut-être, tester la pose de coins de protection sur ces couvertures dès avant la mise en circulation des livres.
A l’heure de notre entretien, les observations se poursuivent au moyen de la procédure de suivi, de la communication d’états mensuels et des réunions régulières du groupe de travail qui poursuit ses échanges sur les données et constats, les réactions des usagers, les observations et suggestions des services, se penche sur des cas précis et propose des remédiations quand et si de nouvelles problématiques apparaissent. Chaque réunion de bilan étape donne lieu à un récapitulatif de données actualisé et à un compte-rendu de réunion, transmis à l’ensemble des équipes du réseau.
Le bilan général de l’expérience devrait se tenir en juin 2026. Il s’agira alors de croiser plusieurs éléments : l’état général des livres en test, le nombre de réparations, pilons et rachats, d’analyser les différentes situations par sections (adultes et jeunesse), par segments de collections (taux d’emprunts), par types de couverture (éditions/collections), la durée de vie moyenne des ouvrages dans les collections et le métrage de PVC non utilisé pour cet ensemble de documents. Le groupe fera aussi un bilan sur les gestes métiers, les retours des services au fil du test, ce qui change, ce qui reste difficile ou devrait évoluer, l’évolution des interactions avec les usagers, les différences peut-être entre services et secteurs.
Enfin, il s’agira d’envisager la suite à donner à ce test en regard de l’enjeu écologique fort et de la soutenabilité du projet pour le réseau. Le bilan permettra d’apporter à la direction des résultats concrets et pourra contribuer à l’établissement d’une feuille de route du réseau en matière d’usages du plastique pour l’équipement des collections.
Pour clore cet entretien…
Je finirai cet entretien par quelques vers :
Ô temps, suspends ton bol, ô matière plastique
D’où viens-tu ? Qui es-tu ? Et qu’est-ce qui explique
Tes rares qualités ?
Ainsi, Raymond Queneau ouvre-t-il, en 1958, le film Le Chant du styrène commandé à Alain Resnais par la firme Pechiney via le producteur Pierre Braunberger. Bien que décalée, les auteurs de cette ouverture ne devaient sans doute pas mesurer à l’ère glorieuse du plastique le décalage croissant qui se révélerait avec le temps entre qualités et méfaits… Aujourd’hui, s’il a pour qualité de protéger ce qu’il emballe, il a pour grave conséquence, scientifiquement reconnue, de nuire à l’environnement et à la santé. En réduire autant que possible l’usage et travailler à ne plus l’utiliser progressivement dans les bibliothèques est une action non seulement écoresponsable mais aussi sociétale, dirigée vers les générations futures.
Un grand merci à Isabelle Bontemps et Laurence Marconnet pour cet entretien ! Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine sur le site web Bibliothèques Vertes ABF pour un nouvel entretien afin de continuer d’explorer ensemble les témoignages d’actions vertes menées en bibliothèques.
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