Quels cadres juridiques pour la sobriété numérique ?

En ces années 2020, nous sommes très probablement au milieu d’un gué en matière de numérique : nous savons que les infrastructures et matériels informatiques, qui ont été formidablement démultipliés depuis 30 ans et dont la seule fabrication pèse majoritairement dans le bilan environnemental d’Internet (bien davantage encore que les consommations énergétiques engendrées par leurs usages, et a fortiori bien au-delà des seuls impacts carbone) doivent être considérés comme une ressource critique (puisque irremplaçable au niveau actuel de complexité organisationnelle) et épuisable à un horizon équivalent de quelques décennies. Extractions de ressources en concurrence avec d’autres secteurs essentiels et traitements complexes d’une multitude de matières rares, très faible recyclabilité, obsolescences programmées ou subies empêchant de fonder sur les moyens et longs termes, démultiplication des usages et effets-rebonds… tous ces constats systémiques et réalités matérielles conduisent à organiser l’allongement de la durée de vie et d’usage des équipements numériques existants, à identifier puis isoler les produits non éco-conçus et mauvaises pratiques, ou à défaut, acquérir des matériels à empreintes environnementales de plus en plus limitées.


Si le numérique a pu être identifié dès ses origines comme un sujet de préoccupations environnementales et sociétales, les initiatives et réponses du législateur et des pouvoirs publics à ces enjeux sont récentes. La Commission Bibliothèques Vertes ABF se propose, dans le présent article rédigé par Jean-Marie Feurtet, de passer en revue ces éléments de cadrage qui, aujourd’hui (au début de l’année 2023), et du point de vue d’une bibliothèque engageant ses projets et actions sous la bannière de la transition écologique, seront les plus « conditionnantes » et susceptibles de retombées. Nous nous concentrons ici sur le cadre juridique en vigueur pour le pilotage de la sobriété technologique en France, et sur des trains de mesure visant à contraindre et/ou ré-envisager la fonction achat, la gestion des cycles de vie et l’écoconception. Indépendamment des synthèses ou commentaires qui foisonnent en ligne (et notamment de la synthèse réglementaire du numérique écoresponsable de la Mission interministérielle Numérique éco-responsable), nous tâchons ici de donner une perspective sur les possibilités actuelles de « faire bon droit » à la sobriété numérique. 

Éclairages : histoire du numérique et son cadrage de 2000 à 2020

Droit souple (soft laws)…

Le secteur numérique est marqué par la prégnance d’un « droit souple » (soft laws) favorisant une version pluraliste en matière de cadrage(s) réglementaires,  pour différents motifs parmi lesquels on peut citer :

  • la nature foncièrement complexe, transnationale et inconstante du fait numérique
  • la forte propension du secteur numérique à générer ses propres normes et pratiques communautaires, rejoignant en un sens les origines libertariennes de la révolution informatique ; l’autonomisation normative du champ numérique pourrait à ce sujet être symbolisée par le célèbre aphorisme du père des Creative Commons, Lawrence Lessig : « Code is law » (dans un article publié en 2000, centré sur la question du contrôle et des libertés dans le contexte des technologies informatiques)
  • la prépondérance, parmi les « faiseurs » du numérique, de dynamiques de travail fondées sur l’émulation, l’engagement déclaratif, le « nudge thinking » (suggestion sans coercition ni processus descendant), la transversalité et une tendance à des formes de gouvernance qu’on pourrait qualifier de « liquides » ; cette logique dominante originelle est illustrée aussi bien par les Principes éthiques du web énoncés en 2019 par le W3C, le Code européen de bonne conduite des centres informatiques, que par les critères d’évaluation NR (sigle pour « Numérique Responsable ») dans certaines labellisations (par exemple « Territoires innovants » du réseau des InterConnectés)

… et dimension environnementale

La dimension environnementale semble constituer la face invisible (invisibilisée ?) du numérique, à tout le moins peu explorée et peu encadrée à ce stade. A ce contexte de  « droit souple » s’ajoutent en effet les voiles d’ignorance et/ou de négligence, longtemps demeurés, du fait numérique :  la face sombre, l’angle mort du numérique, qui relève pourtant bel et bien d’une réalité à considérer et encadrer, à savoir sa dimension socio-écologique. Ainsi, la plupart des pratiques lourdement impactantes en termes de sobriété ou de responsabilité ne sont pas (encore ?) véritablement contraintes par la loi. La juridiction durable du numérique a prioritairement émergé sur les terrains socio-économiques, bien davantage que sur des enjeux environnementaux. 

  • Les deux premières décennies du XXIe s. ont surtout vu des progrès (inclusivité, écoconception, simplification…) à mettre au crédit des mesures d’accessibilité (Loi du 11 février 2005 exigeant l’accessibilité des services publics et décret du 24 juillet 2019 ayant donné naissance au Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité RGAA)  et d’ouverture des données (Loi « Lemaire » du 7 octobre 2016 pour une République numérique, ayant fixé un cap de développement de l’e-administration et du service public de la donnée, indépendamment des problématiques de fractures numériques et de dépendance à des infrastructures non ou peu résilientes qui s’en sont trouvé accrues). 
  • Durant les années 2000 et 2010, la reconnaissance des nuisances liées aux équipements électriques et électroniques sera largement restée cantonnée à leur stade terminal : en particulier, gérer une masse exponentielle de DEEE (sigle désignant les déchets d’équipements électriques et électroniques), essentiellement depuis le décret du 19 août 2014, introduisant la REP – Responsabilité élargie des producteurs (proches des principes pollueur-payeur) pour organiser la collecte (sans condition de nouvel achat en regard) et le traitement des équipements électriques et électroniques en fin d’usage (un arrêté du 13 avril 2018 est venu y ajouter les consommables d’impression : cartouches d’encre et de toner).
  • Parallèlement, le droit du consommateur et de l’économie de marché a constitué le cœur des mesures prises jusqu’à la fin des années 2010. Tout un édifice réglementaire se construit en lien étroit avec le droit de la création et de la propriété intellectuelle, et s’attache à réguler le marché du numérique, ses acteurs géants (Digital Services Act – règlement sur les services numériques, et Digital Markets Act – règlement sur les marchés numériques) ou à protéger les données et usages en ligne individuels (loi RGPD de 2018). Les principales contraintes légales posées en matière d’usages numériques sont liées à la loi STICEOE du 9 février 2015 qui a permis d’identifier officiellement la question des ondes électromagnétiques (impact pour les bibliothécaires : le déploiement du wifi est proscrit dans un espace public dédié aux enfants de moins de trois ans). La loi TECV du 17 août 2015 (relative à la transition énergétique pour la croissance verte) fournit quelques grands principes d’encouragement de l’économie circulaire, de la performance énergétique, et introduit pour la première fois en droit français un délit d’obsolescence programmée (mais avec des mécanismes de sanction très difficiles à activer).

Démarches incitatives

Ainsi, à ce jour, réduire le nombre d’équipements et les mutualiser, internaliser/renforcer une capacité de maintenance, prolonger et/ou graduer la fin de vie des matériels et dispositifs en place, éco-concevoir produits et services informatiques… relèvent ainsi largement de démarches axées sur :

  • la sensibilisation
    • pensons notamment au travail réalisé par l’ADEME (Site de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) dans ce domaine, avec des kits de sensibilisation tels que celui du numérique responsable
  • les référentiels ou méthodes d’autoévaluation

Ces démarches de sensibilisation et/ou d’actions s’appuyant sur des référentiels ou méthodes d’évaluation, rencontrent de fait des limites parmi lesquelles :

  • leur inscription dans une démarche de volontariat : attention aux bonnes volontés non ou mal outillées ;
  • le renoncement ou le retardement de l’achat de matériels informatiques, plus souvent au motif d’états de fait budgétairement subis que de véritables choix.

Le tournant des années 2020

Feuilles de routes

Parmi ces délimitations progressives, indirectes (dans le sens où les pouvoirs publics n’encadreraient pas frontalement le sujet et/ou le laisseraient à des ressorts incitatifs) ou issues de la société civile, se traduisant en chartes, livres blancs et autres guides d’appropriation, certaines « feuilles de route » occupent une place particulière, en ce qu’elles fixent des caps globaux de transition écologique pouvant inclure le fait numérique :

  • Les ODD (Objectifs de développement durable) adoptés par l’ONU en 2015, s’ils permettent une forme d’interopérabilité et d’appropriation universelle, n’intègrent cependant pas la lutte contre les externalités technologiques négatives dans leur paradigme. Sur le sujet, signalons le récent point de vue d’Alizée Colin Numérique Responsable et Objectifs de développement durable publié sur son blog le 23 janvier dernier, ainsi que la mise en regard entre accélération et diminution d’impacts faite par David Rongeat dans Autour du numérique responsable (Collection numérique de l’AMUE n°12, déc. 2020, p.12-14). 
  • A l’échelle nationale, ni le PNAD (Plan par lequel le Commissariat général au Développement Durable vise à outiller l’achat public responsable, au travers de la plateforme d’échanges RAPIDD et d’un « Guichet vert » récemment déployé à l’attention plus particulière des petites collectivités), ni les SPASER (Schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables, rendu obligatoire par la loi ESS – Economie sociale et solidaire – du 31 juillet 2014 à toute collectivité excédant un seuil de dépenses annuelles [50 millions d’euros depuis le 1er janvier 2023, 100 millions auparavant], visant à promouvoir l’économie solidaire et l’entrepreneuriat social, ainsi que des objectifs publics chiffrés en la matière) n’identifient les problématiques numériques en tant que telles. 
  • En revanche les nouvelle SNR (Stratégies numériques responsables), dont l’écriture est obligatoire d’ici à fin 2024 pour toute commune ou EPCI de plus de 50.000 habitants, viennent placer l’achat et la maintenance matérielle durable et locale du numérique public aux premiers rangs des attentes, devant l’écoconception des services et la sensibilisation des fonctionnaires et des publics. Le principe d’obligation des SNR a été introduit par la loi REEN de novembre 2021, et leurs principes d’élaboration ont été fixés par décret 2022-1084 du 29 juillet 2022 en combinant des objectifs d’achat public local et durable, de gestion longue et de proximité du matériel, d’écoconception des sites et services, de sensibilisation des fonctionnaires et des citoyens (numérique responsable, sécurité informatique, ouverture des données). Un guide permettant de formaliser ces canevas stratégiques est attendu pour le début du printemps 2023 : accompagnement auquel le nouveau HCNE (Haut Comité du Numérique Éco Responsable), créé en novembre 2022 dans le sillage de la démarche « France Nation Verte », contribuera désormais. L’Agence nationale de cohésion des territoires a par ailleurs lancé une expérimentation début novembre pour accompagner les SNR de six collectivités-pilotes.

Ces démarches programmatiques, qu’elles relèvent ou non de l’obligation légale, portent à réenvisager en profondeur des inventaires matériels qui, en bibliothèques, joignent à un haut degré la variété (des consoles de jeux jusqu’au matériel de fablab, en passant par les équipements audiovisuels culturels) à la spécificité (liseuses, automates de transactions RFID). En écho à leur position de tiers-lieu numérique le plus répandu du territoire, un enjeu fort pour les bibliothèques est de participer à modeler les articulations entre schémas / chartes NR (numérique responsable) et programmes d’investissement « d’excellence » (BNR – Bibliothèque numérique de référence, PIA – Programme Investissements d’avenir…), et à se positionner ainsi en faveur d’une autre vision de l’innovation, dé-corrélable d’impératifs de performance posés sans examen de soutenabilité.

Une circulaire et trois nouvelles lois

C’est en 2020-2021 qu’un tournant majeur a lieu, avec le vote de trois lois venues conférer une épaisseur plus prescriptive aux corpus de responsabilisation existants, et tout particulièrement à l’adresse des services publics :

  • Loi AGEC n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire
  • Loi C&R (Climat et Résilience) n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets
  • Loi REEN n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France 

Ces trois lois recourent à l’un des principaux « bras armés » des objectifs de durabilité et de soutenabilité, à savoir la commande publique. Les bibliothèques, en tant que lieux de médiations et de services numériques, ont lieu d’actionner ce levier en priorité (ou de pousser à l’actionner, lorsque la commande technologique ou la fonction achat dans son ensemble passent par d’autres services) : il est source tout à la fois d’impacts immédiats, d’exemplarité et d’entraînement d’un tissu d’acteurs privés, de limitation des coûts à moyen terme et d’innovations frugales. Rappelons aussi que le développement des normes (notamment la série de normes ISO 14000 portant sur la gestion environnementale) et des éco-labels dont certains ont un caractère d’application spécifique au numérique, s’il est bien antérieur et a pu être invoqué dès 2016 comme critère de marché, n’a dans les faits guère eu de caractère qu’incitatif avant 2020 – parmi les écolabels numériques, ceux de type I comme TCO et Blauer Engel présentent une réelle garantie en termes d’exigences liées au cycle de vie des produits technologiques. Résumons les conséquences applicables de ces trois lois à nos dispositifs et actions numériques. 

La loi Anti-Gaspillage et Économie Circulaire (AGEC, 10 février 2020) impose à la commande publique le recours aux biens issus du réemploi, de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées (trois notions voisines mais distinctes). Les termes et proportions de cette réforme de la fourniture sont définies par un décret du 9 mars 2021 (relatif à l’obligation d’acquisition par la commande publique de biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées) : notons que si les achats de télévisions, ordinateurs, photocopieurs et téléphones sont bien concernés, les matériels plus spécifiques tels que les automates de bibliothèques, par exemple, ne pas couverts par l’obligation. Pour plus de précision sur les segments d’achats concernés par ces quotas de réemploi/réutilisation/recyclage, vous pouvez consulter la notice explicative du décret 2021-254.

La circulaire Services publics écoresponsables (SPE – 25 février 2020), contemporaine de la loi AGEC, inscrit deux axes majeurs de sobriété numérique à l’agenda d’exemplarité des fonctionnaires : 

  • réduire l’impact des biens et outils numériques
  • réduire l’impact de l’utilisation du numérique.

Aux côtés de mesures d’achats responsables (contre le plastique jetable et la déforestation), cette circulaire comporte plusieurs encouragements à l’économie circulaire susceptible de toucher au numérique responsable : 

  • échange et don de biens via une plateforme dons.encheres-domaine.gouv.fr
  • généralisation de la sensibilisation des agents aux éco-gestes numériques
  • invitation à l’achat de matériels ou de consommables reconditionnés.

(Exemple de suivi des mesures SPE adoptées par la BnF : https://www.bnf.fr/fr/services-publics-ecoresponsables.)

L’article 35 de la loi Climat et Résilience (C&R – 22 août 2021) pose un objectif-clé : passer d’ici à 2026 de 15% à 100% de marchés publics comportant des conditions et/ou critères de sélection environnementaux et sociaux. Il s’agit donc d’anticiper la systématisation des clauses environnementales (lesquelles resteront contextualisées, en lien direct et explicite avec l’objet du marché) et d’accélérer l’infléchissement du paysage contractuel : cette maturation ne peut être assurée que par la mise à disposition d’outils opérationnels de définition et d’analyse du coût du cycle de vie des produits. Cette notion de CCV est apparue dans une directive européenne du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, transposée par décret du 25 mars 2016, puis via la mise à jour 2019 du Code de la commande publique ; par son approche globalisée, elle permet de prendre en compte acquisition, usages, maintenance, fin de vie et externalités des biens et services. Le partage de méthodes reproductibles par tout acheteur public est incontournable pour apprécier le très large éventail d’impacts des équipements électriques et électroniques. Notez que la loi C&R a fait suite à la Convention Citoyenne sur le Climat (CCC) en reprenant une partie de ses 146 propositions (juin 2020) pour réduire les émissions de GES françaises de 40% d’ici à 2030 dans un esprit de justice sociale. La mise en place des dispositifs RAPIDD et Guichet vert esquissant à l’automne 2022 un réseau d’échange de la commande publique durable, le rapport d’information sénatorial Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise en octobre 2022 réappelant à introduire en droit la notion d’ « offre écologiquement la plus avantageuse », les débats pour une « critérisation » environnementale ambitieuse des marchés, peuvent être vus comme des prolongements des préconisations de la CCC postérieurement à la loi C&R. 

Enfin, la loi de Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique (REEN – 15 novembre 2021), qui fait suite aux importants travaux de la mission sénatoriale Chaize et au rapport Chevrollier-Houllegatte (2019-2020) rappelant que la pollution numérique est jusqu’alors restée un « angle mort des politiques environnementales et climatiques », est composée de 36 articles cherchant à implémenter auprès de toute la chaîne des acteurs des outils et méthodes d’allongement de durées de vie des matériels numériques. 

  • Pour étayer les efforts de sensibilisation (que la commande d’études d’impacts des cryptomonnaies et du cloud gaming viendra par ailleurs éclairer de nouveaux jours bienvenus), l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) et l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) sont confirmées comme opérateurs de veille et de diffusion des résultats de recherches touchant aux impacts et bilans environnementaux du numérique. En complément, la « loi Chaize » du 23 décembre 2021 (« visant à renforcer la régulation environnementale du numérique par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ») confère à l’ARCEP le pouvoir de collecte des données environnementales auprès de tout l’écosystème des infrastructures numériques : ces matériaux alimentent l’enquête annuelle « Pour un numérique soutenable, nouvel outil au service du débat public et de la réflexion pour une stratégie bas carbone du numérique ». 
  • L’usage de l’indice de réparabilité introduit par la loi AGEC (baromètre d’abord conçu à l’attention des consommateurs, et appelé à devenir indice de durabilité en 2024) est intronisé dans la commande publique de tout équipement électrique ou électronique. La composition de l’indice est définie par le décret 2020-1757 du 29 décembre 2020 « relatif à l’indice de réparabilité des équipements électriques et électroniques » et la note (sur 10) tient en cinq part égales aux critères suivants :
    • disponibilité de la documentation technique
    • caractère démontable pour un accès unitaire aux pièces détachées
    • durées de disponibilité et de livraison des pièces détachées
    • rapport entre le coût de l’équipement complet et le coût des pièces détachées
    • critérisation spécifique selon les catégories d’appareils
    • s’y ajouteront in fine des critères de fiabilité et de robustesse. 

Sa mise en place a été couplée à un fonds de réparation s’adressant à la filière des équipements électriques et électroniques, entré en vigueur en décembre 2022. L’équivalence des critères de l’indice n’est pas sans prêter le flanc à des biais et ambiguïtés, dans un contexte déjà questionnable d’auto-notation par les fabricants ou diffuseurs. 

  • L’encouragement, posé dès la circulaire Services publics écoresponsables et par l’article 16 de la loi REEN, à la cession gratuite d’équipements informatiques publics encore fonctionnels, a été complété d’une grille de prix solidaires permettant leur revente par les structures associatives ou ESUS bénéficiaires (ce qui peut introduire une nouvelle forme de soutien aux écosystèmes de médiation numérique en prolongeant le cycle de vie des matériels publics des bibliothèques). Voyez à ce sujet l’article L3212-2 du Code général de la propriété des personnes publiques et le décret n° 2022-1413 du 7 novembre 2022 fixant des prix solidaires pour la revente des matériels informatiques réformés et cédés à titre gratuit à certaines associations par les administrations. Principaux tarifs TTC maximaux :
    • 180€ pour un ordinateur portable
    • 170€ pour une imprimante-scanner
    • 100€ pour un smartphone ou une tablette
    • 30€ pour un écran ou une imprimante de bureau 

… tous ces équipements devant être « en état de fonctionner, avec notamment les chargeurs, le disque dur, un système d’exploitation, une batterie fonctionnelle ».

  • La loi REEN a également donné le jour à des exigences stratégiques territoriales (Stratégies Numérique Responsables) et au Référentiel national d’écoconception (RGESN) déjà évoqués plus haut. 
  • La proposition d’allongement de garantie des appareils numériques de 2 à 5 ans, la stricte dissociation entre mises à jour logicielles de « confort » ou de « sécurité », ou encore le principe d’un système redistributif au profit des biens reconditionnés n’ont pas été retenus ; gageons que ce n’est que partie remise.  

Quelques perspectives pour conclure 

L’influence suggestive et la contractualisation informelle ont une tradition opérante très forte et ancrée dans l’univers numérique, au moins autant que l’instruction ou l’exécution légale. Dans tous les cas, la sobriété numérique n’a de sens qu’en s’incarnant au quotidien à l’intersection des stratégies et réalités locales et humaines. 

Au-delà de la capacité des individus ou de chaque organisme à « faire leur part », le droit est un levier fondamental pour des transitions dont la concrétisation implique de remodeler nos systèmes institutionnels et réalités économiques. Si le droit de la sobriété (en tant que stratégie économique de l’essentiel et en tant que politique d’allocation de ressources finies ou rares) reste globalement à écrire, le caractère structurel des changements nécessaires est de plus en plus officiellement reconnu, et l’outillage législatif et réglementaire récent est en train de procurer les bases d’une translation de paradigme (excellence, innovation, performance… autant de fanaux dont la couleur va et doit évoluer) dont nos institutions culturelles et d’enseignement ont le devoir, moral et bientôt formel, de devenir les porteuses. 

Certains fondements d’Internet pourraient même s’en trouver bouleversés à une échéance plus ou moins brève (le principe de neutralité du Net, par exemple), et de nombreuses pratiques ayant connu des accélérations spectaculaires (avec, ou dès avant, la crise sanitaire) auront lieu d’être réenvisagées, bien davantage priorisées ou hybridées. La numérisation précoce, les pratiques et médiations du numérique très ancrées dans les bibliothèques en tant que centres de partage et de conservation des savoirs et des imaginaires, font résonner ces enjeux de sobriété jusqu’aux tréfonds des missions des bibliothèques, de leur gouvernance et de leur existence quotidienne. 

2 réponses à “Quels cadres juridiques pour la sobriété numérique ?”

  1. Avatar de Jestaz Juliette
    Jestaz Juliette

    Merci beaucoup pour cette excellente mise au point, qui fournit un cadre de référence ! En ce qui concerne l’indice de réparabilité, une question sur une formule un peu ambigue: « L’équivalence des critères de l’indice n’est pas sans prêter le flanc à des biais et ambiguïtés ».
    C’est à dire : les critères
    ( 1/ disponibilité de la documentation technique ; 2/ caractère démontable pour un accès unitaire aux pièces détachées; 3/ durées de disponibilité et de livraison des pièces détachées ; 4/ rapport entre le coût de l’équipement complet et le coût des pièces détachées ; 5/ critérisation spécifique selon les catégories d’appareils ; 6/ fiabilité ; 7/ robustesse )
    sont tous à égalité les uns des autres ?

  2. Avatar de Jean-Marie Feurtet
    Jean-Marie Feurtet

    Bonjour,
    L’équivalence des critères est en effet critiquable (dans la mesure où certains critères « faciles à bien noter » comme la documentation du produit viennent créer des effets de compensation et de nivellement, alors que seuls certains critères sont véritablement cruciaux ou rhédibitoires pour un tel indice : démontabilité et accessibilité des pièces détachées), mais votre remarque est juste, ce n’est pas le seul problème de l’indice de réparabilité.

    L’absence de disponibilité des détails des calculs de notation de la part des fabricants pose également question, et l’association HOP – Halte à l’Obsolescence Programmée a soulevé dernièrement la nécessité d’accroître la transparence et la justification des notes établies. HOP préconise ainsi de répertorier toute la documentation constitutive sur un site national et de clarifier/consolider des méthodologies communes et contraignantes sous-tendant chaque critère [cf. https://www.halteobsolescence.org/wp-content/uploads/2022/02/Rapport-indice-de-reparabilite.pdf%5D.

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